vendredi 21 avril 2023

42 L'arbre de transmission

                           L'arbre de transmission

" Nom de dieu, mais c'est Moralés"
" Hein, quoi, qu'est-ce que tu dis "
" Je dis que le mec là-bas, c'est Moralés "
" Le mec, quel mec ?"
" La bas, celui qui sort du bureau du comptable et qui monte dans la camionnette Dodge, je te dis, je te jure que c'est Moralés, tu le vois ou quoi “
“ Ouais, bien sûr que je le vois, je ne sais pas si c’est Moralés ou quoi, je ne connais pas son nom, mais c’est l’acheteur “
“ L’acheteur, quel acheteur ? “
“ Bon attends la, calmos, c’est l’acheteur de l’équipe, le mec qui vient tous les matins, qui reçoit les commandes des différents services, mécanique, électrique, bouffe, literie ou je ne sais quoi et qui repart en ville pour nous acheter tout ce dont nous avons besoin, bref l’acheteur ou si tu préfères ici au Mexique le “ Compradore
“ Ouais, ouais, merci je sais ce que c’est un acheteur, mais lui, je te dis que lui, c’est Moralés, qui, si ma mémoire est bonne se nomme lui-même “ le roi des acheteurs “ et qui se vante sans arrêt d’être capable de trouver l’introuvable. Moralés, l’homme qui trouve tout, n’importe quand et n’ importe où''
“ Bon, écoute, comme je viens de te le dire je ne sais pas son nom, je ne connais que son prénom et tout ce que je sais, c’est que c’est l’acheteur. C’est vrai qu’il a un peu tendance a se vanter et a prétendre qu’il peut trouver tout, il est un peu  “ Fier a bras “ et “ tout en Gueule “ mais ceci dit, ça fait plusieurs semaines que je travaille avec lui et l’un dans l’autre il n’est pas plus mauvais qu’un autre et je dirais même qu’il est meilleur que beaucoup, alors bon Moralés ou pas Moralés on fait avec, mais dit donc, comment se fait’ il que tu le connaisses, tu viens juste d’arriver“   
“ Okay, d’après ce que tu me dis, je pense qu’il s’agit bien du même Moralés que j’ai connu il a quelques dix ou quinze ans et il est toujours dans le même genre de boulot et le même genre de magouille. Paye-moi un café et je vais te dire tout ce que je sais sur le Senior Moralés “
     Nous étions en fin d’année 2004, je venais de débarquer au Mexique, après plusieurs années en Amérique du sud et je venais d’arriver sur une de nos équipes dans le sud du pays, une très grosse équipe qui avait du mal à démarrer vu sa taille importante. Christian, le mécano de l'équipe, que je venais remplacer, m’avait accueilli et me faisait visiter le camp et m’informait de la situation. Nous étions là sur une très grosse mission avec un matériel très important, quelque 150 véhicules, des compresseurs d’airs, des sondeuses de différents modèles, des tracteurs, des citernes. Bref la mécanique allait être sur ce contrat un élément de première importance.
     Christian avait mis la mission en place, l’atelier semblait être bien organisé, le parking était plus que suffisant, la zone de lavage opérationnelle et nous avions une équipe de mécanos plus ou moins bonne et surtout nous avions un bureau avec une machine a café super efficace. Donc, compte tenu de cette machine a café, nous pouvions considérer que nous étions prêts pour toutes situations urgentes ou catastrophiques et c’est donc vers ce bureau et cette machine a café que me conduisit Christian en ce matin d’automne afin  d’apprendre l’histoire de Moralés l’acheteur.
     Apres m’être servi un café noir, épais et généreusement sucré, je m’installais confortablement et j’étais prés a raconté mon histoire. « Si nous parlons du Senior Moralés, il faut remonter une bonne dizaine d’années en arrière, si ma mémoire est bonne, tout a commencé au début des années quatre-vingt-dix, la boite avait décrochée un contrat au Mexique, la compagnie démarrait dans le pays et avait mis sur pieds une équipe, en un temps record et avec le minimum d’investissement. Ce contrat avait démarré dans le désert du Chihuahua avec quatre vibrateurs en plus ou moins bon état sortis en urgence des États-Unis, une dizaine de véhicules et une poignée de caravanes pour loger le personnel.
     Ce contrat était un contrat en camp mobile, ce qui revient a dire que le chef de mission, les services comptables, administratif et techniques s’étaient installés en ville et que le reste de l’équipe, soit tout le groupe de topographes, d’électroniciens, de mécanos, de chauffeurs, de manœuvres qui effectivement produisait le data sismique sur le terrain étaient logés sur un camp de grandes caravanes, ce qui nous donnait la possibilité de bouger sans arrêt.
     Ce camp, se promenait à travers le désert du Chihuahua, allant du nord au sud, de l’ouest a l’est, enregistrant les lignes sismiques réclamées par le client ici ou là. Le travail était dur, le terrain difficile, les températures extrêmes, les véhicules insuffisants, nous avions une multitude de problèmes, les heures étaient longues, la production était bonne, l'ambiance de l'équipe était formidable, le paysage était fantastique et ce style de vie était passionnant, chaque jour étant différent d’hier ou de demain.
     En l’absence du chef de mission qui était en ville, étant le plus anciens, j’avais hérité en plus de mon boulot de mécano, du titre de chef de ce camp. Un joli titre qui ne voulait rien dire et qui était surtout un travail de coordinateur entre les différents services et qui somme toute n’était pas vraiment désagréable. L’équipe était plutôt petite, plutôt bien disciplinée et ceci offrait l’avantage de ne pas avoir a se cogner un chef sur le dos.
     Bien sûr le contrat qui devait durer six mois s'était prolongé d'année en année et nous attaquions tranquillement notre troisième année de production.  
     Au fil des mois le camp et l'équipe s'étaient organisée d’une manière très satisfaisante, nous avions reçu quelque véhicules et caravanes supplémentaires, les vibrateurs avaient étaient retapés, le personnel avait été entraîné, tout un chacun connaissait son boulot et sa fonction, nous étions capable de produire bien plus que les prévisions les plus optimistes dans des conditions de terrain parfois extrêmement difficile. Les longues périodes de solitude loin de la civilisation ne troublaient personne, le ravitaillement fonctionnait correctement et nous étions capable de rester stationnaire pour plusieurs jours ou plusieurs semaines et d’un seul coup de se déplacer a l’autre bout de la province du jour au lendemain.
     De temps en temps, très souvent le dimanche, le chef de mission venait nous visiter et s’assurer que tout aller bien au camp, il contactait chaque service, se tenant au courant des multiples petits problèmes, amenant une bouteille, il partageait le repas de midi avec nous et repartait dans l’après-midi. Une ou deux fois par semaine, nous recevions la visite de Moralés qui notait consciencieusement les différentes commandes de chaque service et qui après confirmation de la part du chef de mission procédait aux achats nécessaires et nous ramenait ce dont nous avions besoin assez rapidement. Il faut bien l’admettre, il était d’une efficacité plus que raisonnable et vraiment arrivait à trouver presque tout ce qu’on lui demandait. Il était même, somme toute un très bon acheteur, considérant que nous étions au Mexique et que de nombreuses denrées sont simplement introuvables, il arrivait très souvent a dénicher on ne sait où, la pièce mécanique ou électrique ou électronique que nous avions commandée presque sans espoir, mais il avait le don d’énerver tout le monde avec son attitude de crâneur et son air supérieur sachant tout, connaissant tout, ayant tout fait et sa vantardise permanente.
     Lorsqu’il nous ramenait la pièce introuvable, il fallait supporter son bagout et écouter ses interminables histoires et les aventures héroïques qu’il avait dû affronter pour trouver ladite pièce. En bref, il était convaincu et nous affirmait sans cesse qu’il était le meilleur acheteur du Mexique et que sans lui la mission s’arrêterait probablement du jour au lendemain. Nous étions toujours heureux de le voir arriver, car il nous apporté ces pièces indispensables et des nouvelles du monde extérieur, mais je crois que nous étions tous aussi très contents de le voir repartir et de retrouver la vie tranquille du camp.       
     Tout ceci aurait bien sûr pu durer de nombreuses années, mais toute chose a une fin, le budget de notre client subit une coupure importante et pratiquement du jour au lendemain il fut décidé en haut lieu d’interrompre complètement l’exploration sismique dans la région de Chihuahua. Par contre une autre zone, avait retenu l’attention de notre client, a quelque mille cinq cents kilomètres vers l’est, a l’autre bout du pays, dans l’état du Matamoros, le nouveau contrat était bien sûr pour nous, il nous suffisait tous simplement de nous rendre sur place dans les plus brefs délais.
     Et c'est ainsi que un beau matin tomba l'ordre d'en haut.
     " Dans huit jours, fin des opérations ici, prépare l'équipe pour un grand déménagement, nous partons vers Matamoros ou nous reprendrons les opérations, vérifie bien tout ton matériel, nous parlons la d'un voyage de plus de mille cinq cents kilomètres sur des routes infernales "  
     Nous avions maintenant quelques 20 véhicules, des caravanes, citernes, atelier plus un gros générateur. Je mis toute l'équipe mécanique a vérifier cet équipement le plus rapidement possible, roulements, lumière, frein etc. À première vue, tout était à peu près en ordre de marche malgré près de trois ans de baroud à travers le désert, et pendant que nous vérifions ce matériel la production sur le terrain continuait et nous amenait sa charge de problèmes journaliers.
     Finalement le contrat dans la province de Chihuahua se termina, le chef de mission nous accorda une dernière demi-journée pour préparer le convoi, le départ était prévu pour le lendemain. Bien sûr, c'est a ce moment-là que en rentrant du terrain pour la dernière fois, un des Ford 350  " transport de personnel" s'embourba glorieusement en traversant un ruisseau hors du gué habituel. Après de multiples efforts, il fut tiré et hissé hors de la boue par un autre véhicule, le chauffeur ne vit pas tous les dangers du terrain, et par un de ces tours de malchances que nous réserve toujours la vie aux moments les plus inattendus, le véhicule enjamba un gros rocher, un rocher vraiment un peu trop gros qui vint se coincer contre l'arbre de transmission et le tordit méchamment.
     Comme tu le sais, l'arbre de transmission n'est en somme qu'un gros tube métallique se terminant par deux cardans et qui se situe sous le camion ou il transmet l’énergie du moteur vers l’essieu arrière. Si cet arbre et un peu tordu, il assurera tout de même la transmission du mouvement et la propulsion du véhicule, mais dès que le véhicule ira un peu vite apparaîtra une vibration importante rendant la conduite impossible. Un arbre de transmission tordu n'est pas un problème inhabituel, c'est même plutôt un problème fréquent, en conduite tout terrain, sur les camions et camionnettes Ford ou il n'est pas trop bien protéger. La chose est même très facile a réparé et prendra moins d'une heure, si la pièce de rechange est disponible et c'est bien là que le problème apparut
" Nous n'avions pas d'arbre de transmission de rechange sur le camp "
     Il était près de trois heures de l'après-midi lorsque j'appris la nouvelle, nous devions partir pour déménager notre camp le lendemain a 7 heures, il était hors de question de voyager plus de mille cinq cents kilomètres avec un arbre de transmission tordu, je le fis démonter, je me jetais sur la radio et j'appelais Moralés.
     Nous n'étions pas très loin de la ville et il apparut très vite, je lui expliquais notre problème et notre manque de temps, je lui montrais l'arbre tordu, j'insistais lourdement sur le fait qu'il nous fallait cet arbre de transmission pour pouvoir partir au petit matin.
"Voilà la pièce tordue, " le père " il nous faut la même dans douze heures, mais toute droite, alors je ne sais pas ce que tu peux faire, mais fait le, trouve en une, achète-la, emprunte-la, fabrique-la, vole-la s’il faut, je me fou de savoir d’où tu la sors et combien elle coûte, mais il me la faut, sinon on bloque l’équipe pour Dieu sait combien de temps. Il nous la faut a six heures du matin au plus tard, tu n’arrêtes pas de nous dire que tu es le meilleur acheteur du Mexique, ben c'est maintenant le moment de le prouver"
     Je dois avouer que je m'étais un peu énervé, ce pauvre Moralés n'était somme toute en  rien responsable de mes ennuis mécaniques, et il se vexa un peu.
" Okay , le père , tu t'occupes de rien, ta pièce tu l'auras demain matin ou je ne m'appelle plus Moralés" dit-il en remontant dans sa camionnette.
     Je continuais d’aller à droite et à gauche pour plusieurs heures, vérifiant ceci ou cela, discutant avec mon personnel, essayant de m’assurer que tout était prêt pour notre départ le lendemain, finalement je ne m’inquiétais pas trop pour mon arbre de transmission, je m’étais convaincu que Moralés allait nous trouver quelque chose.
     J’allais me coucher assez tard, je dormis comme un pavé, mais mon sommeil fut plutôt bref. A cinq heures du matin j’étais debout, je me dirigeais vers la cuisine ou j’engloutis rapidement un petit déjeuner pantagruélique. Puis je sortis dans l’aube montante et la première personne que je rencontrais fut Moralés qui brandissait fièrement mon arbre de transmission, j’avoue que bien que comptant plus ou moins sur lui, je fus agréablement surpris, je le saluais, je lui serrais la main et je le félicité pour son efficacité, je me permis même d’ajouter que finalement c’était vrai  "il était le meilleur "
     Il est probable qu’il avait dut trouver en ville un tourneur, a qui il avait promis je ne sais quoi et qui avait accepté de travailler une partie de la nuit et qui nous avait fabriqué la pièce, la peinture brillait encore et paraissait a peine sèche. Je me moquai complètement de savoir ou Morales avait trouvé la chose, je l’avais en main et c’est la seule chose qui comptee
     Je m’emparais de mon arbre et je partis immédiatement a la recherche d’un de mes mécanos, je rencontrais Manuel le chauffeur du camion de combustible, qui lui aussi venait de terminer son petit déjeuner. Je lui confiais la précieuse pièce en lui demandant de trouver quelqu’un pour l’aider et de l’installer le plus rapidement possible sur le véhicule "transport de personnel" puis je continuais sur ma lancée, saluant tout le monde, balançant des ordres, bousculant tout un chacun afin de m’assurer que le départ serait a l’heure.
     Une main sur l’épaule me ramena à la vie présente, c’était Moralés qui venait me rappeler qu’il avait trouvé ma pièce, mais qu’avant de partir pour l’autre bout du pays il serait bon de bien vouloir honorer mes promesses et montrer la monnaie. Il avait eu beaucoup de plaisir a travaillé pour nous, mais la vie continuait et il avait un rendez-vous important qui ne pouvait attendre et il m’annonça que vu les circonstances un peu particulières et l’urgence de la chose il était obligé de me réclamer seize cents pesos , ce qui était a l’époque une somme relativement importante et au moins le double de la valeur réelle de cet arbre de transmission. Il est vrai que les circonstances étaient particulières, je lui avais fichu la pression, mais il avait délivré le produit dans les temps, je ronchonnais pour la forme, sortit la liasse de billets que le chef de mission m’avait fournie pour financer le voyage et je lui comptais seize billets de cent pesos. Il affichait une satisfaction évidente et son regard était plus arrogant que jamais, mais il m’avait trouvé ma pièce et j’étais prêt à accepter son attitude et sa gloriole une dernière fois.
“Merci chef, Moralés est le meilleur, il promet et il livre toujours “ 
     Et sur ces bons mots, Moralés remonta dans sa camionnette et disparut dans le soleil levant, je l’oubliais immédiatement.
     Il était sept heures du matin, je gueulais qu’il était l’heure de partir, je me dirigeais vers ma camionnette et démarrais le moteur pour bien signaler au personnel que l’heure c’est l’heure. Je me garais a la sortie du camp, ce qui me permettait de voir tous les véhicules un par un au moment où ils sortaient et de leur jeter un dernier coup d'œil.
     En premier sortit notre topographe qui avait toutes les cartes du pays et qui durant les prochains jours allait guider notre convoi, derrière lui un a un les véhicules sortaient trainant nos caravanes, citernes ou remorques, calmement, lentement le convoi se mettait en route, comme une machine bien rodée sans heurt et sans problèmes. Je dois avouer que je ressentais une satisfaction interne profonde, je m’étais décarcassé pendant plusieurs jours pour assurer ce départ sans heurt et maintenant, j’étais payé pour mon travail, tout se passait bien.
     Pourtant là-bas, au fond du parking immense, un camion restait stationnaire, je l’avais reconnu de loin, le camion du combustible, je n’étais pas inquiet, Manuel était un de mes meilleurs chauffeurs et je savais que son camion était toujours très bien entretenu et ne nous causait jamais de problèmes, tout de même que faisait-il.
     Je passais la première et je me dirigeais dans la direction du camion arrêté, je me garais à quelques mètres interrogeant Manuel du regard.
“ Je n’y comprends rien chef, il a bien démarré, le moteur tourne, tout a l’air bon, mais il ne bouge pas, Je n’y comprends rien du tout »
     A la vitesse de la lumière une pensée traversa mon cerveau, le camion de combustible était aussi un Ford 350, le même modèle que le “ transport du personnel “, non ce n’était pas possible, il n’aurait pas osé. En une micro seconde, j’avais mis le frein a main, j’avais ouvert la portière, j’avais franchi les quelques mètres qui me séparaient du camion de Manuel, j’avais plongé au sol, je roulais sur le dos et j’observais au-dessus de moi la sortie de la boite a vitesse et le pont arrière, et là, rien, rien , rien et rien , il n’y avait pas d’arbre de transmission. Le fils de pute avait osé, d’un seul coup, sans le moindre doute je sus exactement ou Moralés avait trouvé l’arbre de transmission fraichement repeint qu’il venait de me vendre seize cents pesos. Je le revoyais, pressé de partir a son rendez-vous urgent avec son sourire goguenard et me répétant fièrement
“ Souvient toi Moralés est le meilleur, il trouve toujours tout “
     Je sortis de dessous le camion et je me mis a jurer comme un malade, j’étais fou de rage, je le traitais de tous les noms et en plus je venais de le féliciter, de le remercier et de lui dire qu’il était le meilleur…..  »
     A ce moment la Christian éclata d’un rire sonore qui me ramena a la réalité, je réalisais soudain que je m’étais laissé prendre par mon histoire et que j’étais reparti dix ou 12 ans en arrière, la matinée se terminait, mon café avait refroidi dans ma tasse et la près de moi Christian rigolait, trouvant évidemment mon histoire des plus amusante.
     Quand il eut fini de rire, il réussit tout de même à me poser une question.
“Bon, okay t’étais là avec ton camion sans arbre de transmission, qu’est-ce que tu as fait “
“Qu’est-ce que tu voulais que je fasse, bien sûr j’aurais aimé courir après Moralés pour l’étrangler, mais ce n’est pas ça qui m’aurait donné un arbre de transmission. Non le but du jeu étant de ne pas perdre de temps, la totalité du camp était déjà sur la route, il nous fallait absolument partir, j’ai laissé Manuel et un autre gars avec le camion de combustible en panne, avec de la bouffe, de l’eau et du café pour une semaine et je suis parti avec mon convoi. Il nous a fallu quatre jours pour accomplir ces quinze cents kilomètres et atteindre Matamoros, dès mon arrivée j’ai fait démonter l’arbre de transmission sur le véhicule “ transport personnel” et je l’ai renvoyé immédiatement avec un mec en camionnette direction Chihuahua rejoindre Manuel. Ils ont remonté l’arbre sur le camion de combustible et ils ont rejoint le groupe en un temps record, entretemps, comme a Matamoros nous étions très près de la frontière, j’ai fait un saut aux États-Unis ou chez le premier concessionnaire Ford j’en ai trouvé un beau tout neuf. Donc, tu vois, en gros ce ne fut pas un problème énorme, mais c’est la manière dont Moralés m’a couillonné que je n'ai jamais oublié. Et comme je ne suis jamais retourné au Chihuahua je ne l’ai jamais revu jusqu’à aujourd’hui et ça doit bien faire dix ou douze ans que les mains me démangent de l’étrangler, ceci dit qu’est-ce qu’il fiche ici, je croyais que son territoire c’était le Chihuahua et rien d’autre “
 “ Ben faut dire que les temps sont plutôt calmes et que les boulots ne courent pas les rues, donc comme Moralés était plutôt coincé, il a réussi a se faire embaucher ici, et comme finalement il n’est pas plus mauvais qu’un autre, il est toujours là. Enfin avoue que le mec est gonflé, fallait le faire, non et en plus si j’en crois ton histoire c’est toi qui lui as suggéré de le voler ton arbre de transmission”
“Bien sûr je lui ai dit de faire n’importe quoi et même de le voler si nécessaire le truc, mais bon je n’étais pas vraiment sérieux, et je ne lui ai jamais demandé de le volé a moi, et toi, en plus, tu trouves ça marrant ”
“Évidemment que je trouve ça marrant, j’aurais peut-être pas trouvé ça marrant si c’était moi que Moralés avait couillonné, mais j’imagine ta tête quand tu as réalisé que le mec venait de te refourguer un truc qu’il t’avait volé la nuit d’avant et en plus il se vante de t’avoir sauvé la mise, avoue que il y a de quoi rire “
“ Bon, ouais, vu comme ça avec le recul, on peut trouver la chose un peu comique, mais je peux te jurer que sur le moment je n’ai pas trouvé ça marrant du tout et le père Moralés demain il va pas trouvé ça marrant non plus, ça fait dix ans que j’attends pour l’assommer “
     Le lendemain, comme d'habitude Moralés arriva au camp vers 9 heures du matin, il savait bien sûr que j’étais là et il mit un point d'honneur à venir à l'atelier mécanique en premier afin de me saluer. Il entra dans le bureau de Christian ou je l'attendais, il était aussi décontracté que l'on pouvait l’être et affichait un sourire confident, il me salua avec grandiloquence, me dit a quel point il était heureux de me revoir après tant d’années, me souhaita la bienvenue dans l'équipe et me félicita d'être revenu au Mexique. Puis avec grandeur et précaution il sortit de son sac une bouteille de Tequila aussi vieille que le monde et insista pour que nous en buvions une gorgée immédiatement, avec notre café, malgré l'heure matinale au nom de l'amitié qui nous unissait. Le culot du mec était incroyable, il se conduisait comme si de rien n'était et comme si nous étions depuis toujours les meilleurs amis du monde. Puis il m'expliqua qu'il avait bien sûr du boulot dans la province de Chihuahua, ou tout le monde réclamait Moralés, le plus grand acheteur du monde, mais il avait préféré laisser tomber toutes ces offres et revenir travailler ici, bien loin de chez lui pour la compagnie ou il avait tant de vieux copains et où il savait que son efficacité était vraiment appréciée. Il m'offrit généreusement la bouteille avant de s'éloigner avec Christian afin de prendre connaissance de la liste de pièces que nous avions préparé.
     J'avoue que son aplomb me laissa sans voix, je ne sais pas trop a quoi je m'attendais de sa part, mais certainement pas a le voir aussi décontracté et aussi sur de lui. Je ne suis pas trop sur de ce que je m'apprêtais a dire et a faire, mais son attitude me déboulonna complètement, a le voir on aurait juré qu'il avait complètement oublié l'incident de 10 ans plus tôt, mais je le connaissais trop bien et j'étais sûr qu'il s'en souvenait aussi bien que moi.
     Je ne sais toujours pas pourquoi je décidais de laisser courir et souvent je regrette de ne pas l'avoir étranglé et je suis sûr qu'il raconte encore au monde qu'il est le meilleur et comme preuve qu'il dit vrai ..... je suis sûr qu'il raconte l'histoire de mon arbre de transmission.
     C’était il y a longtemps …  .très longtemps .... je salut ton culot Moralés          

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire