dimanche 21 mai 2023

41 La nuit des dingues

                                           La nuit des dingues  

     Il est bien évident que je ne vais pas vous dire où et quand cette petite histoire s'est passée. Il est bien évident que je ne vais pas vous dire le nom de la ville, le nom du canton ou même le nom du pays. J'oserais peut-être vous dire le non du continent, car il faut bien situer la chose. Il est bien évident que je vais faire tout en mon pouvoir pour que nul ne soit capable de deviner le jour ou même le mois et l'année de cet incident grave et il est évident que je vais m'assurer que nul ne soit capable de remonter dans le passé et de confirmer ce que je préfère laisser dans le flou.
     Ceci dit, après tant d'années, après tant de temps, il me parait nécessaire et même indispensable de raconter, je ressens ce besoin d'expliquer, de décrire ce qui s'est vraiment passé cette nuit-là, peut être afin de me justifier et me donner bonne conscience ou peut-être pour une quelconque autre raison, je ne sais plus trop pour quoi.
     Donc, nous dirons que c'était la fin du vingtième siècle, entre 1990 et l'an 2000 ou qui sait peut-être un peu plus tôt ou un peu plus tard, la date importe peu. Nous étions quelque part en Amérique du Sud, finalement le pays lui aussi n'a pas d'importance. La grande ville nous l'appellerons X téqua, car il faut bien lui donner un nom et la petite ville aurait pu s'appelait X téqui et quant au petit village indien et le camp en construction nous le baptiserons Los indios, pourquoi pas, voilà des noms qui sonnent bien pour les contrées d'Amérique du Sud.
     Et puis nous dirons qu'a cette époque-là, je travaillais pour une grosse compagnie internationale, qui m'avait envoyé dans ce pays afin de superviser la construction, à proximité d'une piste oubliée et tout près du petit village de Los indios, d'un camp dans la forêt. Le camp comprenant un énorme magasin de vivres, un atelier mécanique, une base de ravitaillement hélicoptères, plus quelques bureaux, une cuisine et une immense popote et bien sûr du logement pour tout le futur personnel qui viendrait travailler la et assurerait le contrôle et ravitaillement de nombreuses petites équipes sismiques dans la jungle.
     Voilà, je pense, une description de la situation que je qualifierais de convenable. J’ajouterais que j'étais le seul homme " blanc " et le seul étranger sur le camp, entouré d'une multitude de sud-américains en majorité d'origine indienne plus ou moins mêlés de sang espagnol et dont certain n'avait qu'une connaissance assez vague du langage de Cervantès.
     Mais, avant d'aller plus loin dans l'histoire de cette nuit tragique, il vaut peut-être mieux faire un petit retour en arrière et vous expliquer comment et pourquoi je me trouvais là. J'avais depuis longtemps fait mes preuves a la boite, et tout un chacun savait que, même si je n’étais pas le meilleur, j’étais néanmoins capable de très bien m'adapter aux conditions de vie difficiles dans la jungle, sur des camps rudimentaires ou même inexistants. J'avais en outre prouvé depuis longtemps que j'étais capable de me mêler a la population locale, de me faire accepter sans problème, de me faire obéir et de faire marcher une équipe de sud-américains mêmes dans des conditions difficiles.
     La construction du camp de Los indios avait pris beaucoup de retard, la chose aurait dû être pratiquement terminé et le camp prés a recevoir le nombreux personnel, mais mon prédécesseur avait rencontré une multitude de problèmes qu'il n'avait pas était capable de résoudre. Donc le chef de mission, a la ville de X téqua, mon ami Joël, s'était souvenu de mon existence et avait demandé a la boite mon transfert immédiat, comptant sur moi pour rattraper le temps perdu. C'est ainsi que par un beau jour j'avais atterri a l'aéroport de X téqua. Joël vint personnellement m'accueillir a l'aéroport, afin de m'expliquer la situation et de m'expédier sur le camp dans les plus brefs délais
     Étant a cours de personnel, la boite avait embauché pour superviser la construction du camp de Los indios, un américain un peu baroudeur, un peu excentrique, qui racontait avoir vécu pour de long mois dans la forêt et qui se vantait de ses qualités d'adaptation aux conditions difficiles et assurait a qui voulait l'entendre sa capacité a faire marcher une équipe d'Indiens sans problème. Il était peut-être capable de s'adapter aux conditions de vie très rudimentaires du camp, mais avait d'énormes problèmes de langage et d'attitude et avait réussi à se mettre à dos la totalité de l'équipe d'ouvriers, ce qui expliquait en grande partie la raison de ses difficultés.
     Joël m'expédiait donc a Los indios pour une mission très simple, expliquer a notre excentrique américain qu'il était temps pour lui de passer au bureau chercher sa paye avant de partir pour des vacances bien méritées et ensuite le remplacer sur le terrain et essayer de reprendre l'équipe en main et compléter la construction du camp dans les temps . J'avais bien sûr plein pouvoir, la bénédiction des chefs, crédits illimités, etc. 
     Et c'est ainsi qu'après 2 heures de voyages sur routes bitumées, j'avais atteint la petite ville de X téqui, que j'avais traversée sans m'arrêter avant de m'engager pour quatre heures de misère, sur des pistes détrempées, ravinées et généralement infernales qui m'avait finalement amenées au village de Los indios. Un village indien de trois ou quatre maisons, auprès duquel nous devions construire notre camp de base dans une minuscule clairière a côté d'une rivière dont bien sûr je tairais le nom.
     Ma rencontre avec notre ami américain, fut pour le moins intéressante et vaut probablement d'être raconté. Le mec que Joël avait décrit comme étant un baroudeur un peu excentrique, n'était pas à mon avis un peu excentrique, mais plutôt un peu cinglé. J’arrivais au camp à la tombée de la nuit et je le trouvais près d'un feu de camp gigantesque au milieu de la clairière.
     Il était assis sur une chaise pliante en toile, vêtu d'une tenue militaire camouflée impeccablement propre et repassée. Il était coiffé bien sûr d'un chapeau de brousse venu tout droit de Hollywood et chaussé de Rangers bien cirées. Près de lui, sur une petite table de bois rustique, a porté de sa main une bouteille d'un liquide transparent que j'assumais était un alcool local à base de canne a sucre, un genre de rhum qui n'aurait pas était trop réussi. A la main, il tenait un verre à demi plein qu'il vida d'un trait lorsqu'il entendit mes pas qui se rapprochaient. Il se leva pour me saluer, me serrer la main et me souhaiter la bienvenue dans son camp et dans la lumière du feu j'eu la surprise de découvrir qu'il portait accroché a la ceinture une machette et un étui de cuir contenant un colt 45, dans le plus pur style cow-boy. J’étais tombé sur le John Wayne de la jungle.
     Après m'avoir salué, il lança par-dessus son épaule un ordre sec et impératif dans un espagnol approximatif, réclamant un verre pour son "ami" et un repas chaud. Je ne me considérais pas a ce moment comme son "ami " mais je préférais laisser courir la chose, j'acceptais un verre de tord-boyau et dévorais une énorme assiette d'un genre de ragoût que je trouvais excellent. Pendant que je mangeais, il avait fait amener une autre bouteille et mon repas terminé nous nous installèrent confortablement pour une longue discussion.
     Je l'informais des ordres de Joël et de son départ immédiat le lendemain matin et de ma présence ici pour le remplacer. Il prit la chose très bien, m'informant qu'il était très heureux de partir, étant plutôt fatigué de son séjour en compagnie de la bande d'abrutis incapables et fainéants qui l'entouraient et qu'il n'arrivait pas à faire travailler. Il me souhaita bien sûr bonne chance avec un petit sourire goguenard au coin des lèvres sous-entendant que j'allais avoir des surprises dès le lendemain.
     Puis, il entreprit tout en consommant une bonne partie de la bouteille de m'expliquer les multiples problèmes qu'il avait dû affronter et résoudre, sans oublier bien sûr de mentionner les multiples dangers qui entouraient le camp et qui donc justifier le port d'arme. Car, ne perdons pas de vue me dit-il, que ces Indiens sont à demi dégénérés et capables de vous découper la gueule a coup de machette pour un rien, etc. Il est évident que je ne partageais pas son opinion sur ce sujet-là, mais je n'étais pas là pour m'engueuler ou me battre avec lui, mais pour assurer une relève et son départ dans le calme. J'acquiesçais donc sur tous les points, consommais un peu du détergent contenu dans la bouteille et prétextant la fatigue dut au décalage horaire j'allai me coucher dès que je pus m'éclipser sans le vexer.
     Le lendemain matin, j'étais debout à cinq heures, il faisait encore nuit noire, le camp n'était pas encore équipé de système électrique et la lueur de la lune éclairait un peu la clairière. La bas, a quelque 100 mètres de ma tente, j'entendais le pouf pouf d'un petit générateur qui fournissait l'électricité nécessaire a la demi-douzaine d'ampoules éclairant le coin cuisine et réfectoire. Je me dirigeais tout d’abord vers la citerne d’eau ou je me lavais les dents et le visage, ce qui acheva de me réveiller. La plupart de nos ouvriers étaient d'origine rurale, étant nés et ayant grandi dans de petits villages perdus dans la campagne ou l'électricité est bien sûr inexistante, et tous ont depuis toujours pris l'habitude de se coucher a la tombée de la nuit et de se réveiller aux premières lueurs de l'aube. Je savais que tous se lèveraient très bientôt et se dirigeraient vers la popote et il était a mon avis indispensable qu'ils me trouvent la avant eux. Une manière, de leur montré que j'étais ici pour prendre les choses en main et travailler.
     Ayant terminé ma rapide toilette, je me dirigeais vers la cuisine ou je rencontrais le cuisinier et ses aides. Je fus un peu surpris de découvrir que le cuisinier était en fait une cuisinière, une femme d'une quarantaine d'années, presque aussi grande que moi et probablement plus forte. Elle paraissait énorme, mais un second regard montrait qu'elle n'était pas grosse, mais tout en muscle. Il était facile de comprendre qu'elle ne devait avoir aucun problème à se faire respecter dans ce camp peuplé en majorité d'hommes. Elle se nommait Magdalena, elle me présenta ses deux aides, sa sœur Guadalupe, bien plus jeune, mais presque aussi forte qu'elle et sa fille Juanita, une très jolie fille d'environ 18 ans, cachant avec peine des formes très agréables sous une légère robe de coton.
     La cuisine provisoire n'était qu'une immense bâche soutenue par une demi-douzaine de poteaux de bois, abritant deux grands réchauds a gaz et leurs bouteilles de propanes, quelque étagères plus ou moins branlantes sur lesquels s'empilaient légumes, fruits, sac de riz, etc. Un peu plus loin, deux ou trois tables faites dans des troncs taillés a la tronçonneuse et des rondins de bois servant de sièges. Il était évident que mon prédécesseur ne s'était pas trop cassé la tête pour assurer le confort de ses cuisiniers et un minimum d'hygiène.
     Je m'assis sur un des troncs à une table, presque immédiatement Juanita m'apporta une tasse de café noir et me proposa le petit déjeuner qui se composait ce matin d'une soupe accompagnée d'un bol de riz, d'un bout de poulet et de quelques légumes. Fidèle au vieux principe qui dit que dans la jungle " il faut manger lorsque l'opportunité se présente, plutôt que d'attendre la faim, qui se présentera au moment où rien n'est disponible ", j'acceptais ce repas abondant.
     Un peu plus tard, un grand gaillard se présenta devant moi et sur mon invitation s'assit en face de moi de l'autre côté de la table. Avant même qu'il ne se présente, je l'avais reconnu d'après la description que m'en avais fait Joël, il s'agissait de Assingua, l'homme de confiance, un peu comptable, un peu chef d'équipe, un peu chef du personnel et un peu interprète puisqu'il parlait un très bon espagnol, mais aussi le Quechua et deux ou trois autres dialectes indiens de la région. Il me souhaita la bienvenue dans le camp, reçu de Juanita son café noir et son petit déjeuner de soupe et de riz et pendant que nous déjeunions nous parlèrent un peu de tout et de rien. Durant la demi-heure qui suivi, une douzaine de personnes entrèrent tour à tour sous la bâche pour le repas matinal, Assingua me les présentait l'un après l'autre. Il s'agissait du personnel clef participant a la construction du camp, les charpentiers, maçons, électriciens, l’infirmier et même un mécano qui attendait impatiemment la construction du bâtiment où il devait installer les générateurs. À tour de rôle ils me serraient la main, s'asseyaient, recevaient leur repas et mangeaient lentement échangeant des banalités à voix basse. La plus grande partie des ouvriers n'entrait pas sous la bâche, ils se présentaient sur un des côtés de la cuisine, saluaient poliment Magdalena et recevaient d'énormes portions de soupe et de riz, puis ils s'éloignaient un peu, s'accroupissaient ici ou là et consommaient leur petit déjeuner en silence a la manière des gens qui depuis longtemps ont compris la valeur d'un bon repas. Certains revenaient pour une portion supplémentaire et tous ramenaient leur assiette et cuillère ou fourchette.
     L'embauche était officiellement a 7 heures du matin, mais il n'est pas rare en Amérique du Sud de voir le personnel ayant terminé le petit déjeuner et n'ayant pas grand-chose d'autre a faire dans le camp, se dirigeait tranquillement vers son lieu de travail et commençait a travailler avant l'heure. Mais, ce matin-là, j'eu la surprise de voir que tous les ouvriers tournaient en rond autour de la cuisine, semblant attendre je ne sais quoi. J'interrogeais Assingua, il hésita un peu, et finalement m'informa
     " C'est à cause de monsieur Bill, Monsieur Bill aime bien tout contrôler et tout décider et c'est lui qui chaque matin envoit tout le personnel a son poste de travail, donc comme d'habitude ils attendent les ordres "
     " Oh, okay, je vois, et si monsieur Bill est un peu en retard, tout le monde attend "
     " Eh oui, et souvent Monsieur Bill se couche tard ....et ..."
     Je venais de comprendre la première raison du retard a la construction du camp, si tous les problèmes étaient comme celui-là, je sentais que je n'aurais pas beaucoup de travail pour rattraper le temps perdu
     "Okay, bon, je crois que nous allons changer cela, il est évident que la plupart des ouvriers doivent continuer le travail qu'ils faisaient hier. Donc, qu'ils repartent au même endroit, et pour ce qui est des autres, comme je viens d'arriver et que je ne sais pas trop ou on en est, le mieux c'est que tu t’en occupes et que tu envoies tout le monde faire ce qu'il y a a faire, et comme il est possible que je sois absent le matin, le mieux c'est que tu t'occupes de ça tous les jours"
     Assingua se redressa très légèrement, un léger sourire aux lèvres murmura un "Muy bien" . Il se leva et commença a distribuer des ordres dans un mélange d'espagnol, de quéchua et autre, je venais de lui rendre la position qui était traditionnellement la sienne depuis des années et de m'en faire un allié.
     Je laissais Assingua organiser le chantier pour les prochaines heures. Il semblait être parfaitement a son aise et le camp s'animait rapidement, résonnant du bruit des marteaux, des pelles retournant le mortier, des cris et des ordres, Je me contentais de faire plusieurs fois le tour de la clairière et du camp en construction dans le but de voir ou chaque chose en était, d'essayer de bien m'imprégner de la chose et de définir les priorités.
     Environ deux heures plus tard, Bill apparut, il se dirigea vers la citerne d'eau et se versa un seau d'eau au visage essayant évidemment de se débarrasser de ce que j'imaginais être une solide gueule de bois. Il était toujours vêtu de sa tenue militaire camouflée, mais il avait dormi avec et ce matin elle n'était plus aussi impeccablement propre et repassée. Les lacets de ses rangers trainés derrière lui et il ne portait plus sa ceinture et son colt autour de la taille, mais jeté par-dessus son épaule dans une allure qui se voulait négligente.
     Ne voulant pas le voir s'occuper de quoi que ce soit, je me dirigeais vers lui et le saluait amicalement, tout en l'entrainant vers la popote ou je lui commandais un grand, un très grand café. Il refusa a mangé, et nous passèrent quelques minutes a parler de tout et de rien, il fit une remarque au sujet de l'activité dans le camp qui sembla le surprendre. Je le mis a l'aise en expliquant que la chose est un peu classique, tout le monde veut se faire bien voir par le nouveau chef, c'est demain que mes problèmes commenceraient, cette explication parurent le satisfaire.
     Le chauffeur se présenta, annonçant que la voiture était prête et qu'il valait mieux partir de bonne heure, suite a de grosses pluies la piste risquait d'être mauvaise et il ne ferait pas bon être bloqué dans la jungle. Bill sembla comprendre cela, il partit dans sa tente et réapparut quelques minutes plus tard avec son sac.
     Au moment de monter dans le véhicule toujours avec sa ceinture et son colt accroché a son épaule, il sembla remarquer que je n'étais pas armé. Il me demanda si j'avais une arme cachée quelque part, ce a quoi je répondis que non, je n'en voyais pas la nécessité. Il se lança alors dans une plaidoirie digne d'un grand avocat, m'expliquant encore une fois que les choses changeaient très vite en Amérique du Sud, et que la situation n'était plus ce qu'elle était lors de mon dernier séjour, que ces p..... d'Indiens pouvaient être dangereux et qu'il était indispensable de se tenir sur ses gardes et préparé a tout. Finalement, en désespoir de cause, ne voyant pas d'autres solutions a ma sauvegarde, il décida que le mieux était qu'il me laisse son colt, aucun problème, je pourrais lui rendre lors de son retour, lorsque qu'il reviendrait pour reprendre son travail et me remplacer. J'essayais de refuser, mais il s'entêtait lourdement, devenant hargneux, encore un peu ivre d’hier soir, répétant encore une fois qu'il n'y avait aucun problème puisque nous nous reverrions le mois prochain, etc. Je ne voulais pas l'informer, que si j'en croyais la conversation avec Joël, il était plus que probable qu'il ne reviendrait jamais, Joël n’était pas du tout satisfait de son boulot et je doutais fort qu’il le réembauche, mais comme je l’ai déjà dit je ne voulais pas me disputer avec lui, je voulais surtout le voir disparaitre du camp et me laissait faire mon boulot et en désespoir de cause j'acceptais son arme. Finalement, il monta dans le véhicule, Fédérico ne lui donna pas le temps de changer d'avis, démarra rapidement et disparu dans la forêt, tandis que je restais comme un idiot avec sa ceinture et son flingue a la main. Loin derrière moi une série de cris joyeux salua son départ me donnant une très bonne idée de sa popularité sur le camp, je ne tenais pas à ce que les ouvriers remarquent que je tenais son arme, je la glissais sous ma chemise et je me rendis directement dans ma tente afin de la planquer dans mon sac.
     Lorsque j'arrivais dans ma tente à l’abri des regards indiscrets, j'examinais le colt, il était effectivement chargé, cinq balles dans le barillet de six, le chien reposant sur une chambre vide comme le nécessitait la plus élémentaire des règles de sécurité lorsque on se ballade avec cette arme toute la journée. La ceinture elle-même offrait une réserve d'environs une vingtaine de balles. À vrai dire j'étais plus emmerdé qu'autre chose avec cet outil de merde, il est vrai et il faut bien l'admettre que les pays d'Amérique du Sud ne sont pas les pays les plus calmes du monde et il est vrai que parfois il est possible de s'y trouver dans des situations dangereuses. Ainsi, j'avais moi-même travaillé au Pérou quelque année plus tôt au moment où "le Sentier lumineux" (ces fanatiques révolutionnaires) y semait la terreur, nous vivions alors dans un camp sous protection militaire et nul ne s'éloignait sans qu’un militaire armé d'un fusil ne l'accompagne. J'avais également travaillé en Équateur, juste après l'enlèvement par la FARC de 8 Américains et Australiens, et nous avions vécu dans un camp entouré de barbelé ressemblant plus a un camp de concentration qu'a un camp de recherche pétrolière. J'avais également était présent en Équateur lorsque une bande d'Indiens s'était révoltés et avait pris une partie de notre équipe en otage, et je m’étais trouvé une paire de fois sous la menace de fusil ou revolvers. Mais si j'avais vécu a plusieurs reprise sous protection militaire ou sous protection d'un garde du corps personnel, j'avais toujours refusé de personnellement porté une arme, soit parce que je refusais de croire au danger, soit parce que j'avais une confiance absolue en la ou les personnes chargées de notre protection. De plus, soyons raisonnable, s'il est possible de se promener en permanence avec une arme, il est diablement difficile d'effectuer une réparation mécanique avec un flingue au côté.
     Je restais un moment dans ma tente, le revolver a la main, me demandant ce que j'allais en faire. Je me souvenais encore de ce vieux film de cow-boy que j'avais vu quelque 30 ans plus tôt ou le vieux sheriff expliquait a un jeune voulant avoir une arme pour faire peur a ses ennemis, que ce n'est pas une solution, il me semblait encore entendre le vieux sheriff.
     " Lorsque tu pointes une arme vers un ennemi, il faut t'attendre a ce que cet ennemi en pointe une vers toi, ne crois pas l'intimider. Si tu prends une arme, soit prêt a t'en servir, car il y a toujours le risque que lui soit prêt a tiré. La meilleure manière de se faire tirer dessus et de pointer une arme vers quelqu'un, et ne t'imagine pas que tu pourras seulement le blesser afin de le décourager, si tu pointes une arme vers quelqu’un, il te faut être prêt a tué ou sinon il vaut mieux la laisser a son clou. N'oublie jamais que "" Toute arme a deux canons et l'un est toujours pointé vers toi ""
     Bien sûr ce n'était qu'un vieux film de cowboys et pourtant cette phrase était toujours restait dans mon esprit et j'avais toujours refusé d’être armé, même lorsque la situation semblait le justifier et voilà que d'un coup sans le vouloir je me retrouvais avec le colt de John Wayne "au cas où ". Je décidais de ne pas me laisser influencer par Bill, j'enveloppais le flingue et la ceinture dans une chemise, je fourrais le tout au fond de mon sac et je l'oubliais complètement pour les jours a venir.
     L'esprit libéré de cette stupide décision, Bill étant partie, il ne me restait plus qu'a m'occuper de mon boulot. Tout était a faire, tout était commencé et rien n'était finis, les matériaux nécessaires a la construction du camp avait était stockés un peu n'importe comment et le personnel perdait un temps fou a transporter le tout d'un bout du camp a l'autre. Je m'assis pour une paire d'heures avec Assingua afin d'établir quelques priorités importantes, le personnel n'était apparemment pas mauvais, mais seulement en attente d'ordres concrets et d'un semblant d'organisation.
     Avec Assingua nous mirent la priorité sur la construction d’un grand bâtiment qui dans le futur serait divisé en plusieurs bureaux, mais qui pour le moment serait une grande salle qui nous servirait de cuisine et réfectoire et nous permettrait de rester sec lors des orages journaliers et ou se tiendraient les réunions de travail, les réunions de sécurité, etc. Une première division serait construite dans le bâtiment permettant ainsi de créer une petite chambre qui deviendrait plus tard la chambre du chef, mais qui entretemps permettrait de loger nos trois cuisinières avec un minimum de confort. En même temps, bien sûr, il fallait attaquer la construction du bâtiment pour les deux générateurs qui une fois installés et démarrés nous permettrait d'illuminé le camp la nuit, et bien sur l'infirmerie et les toilettes et ensuite les autres bureaux, l'atelier mécanique et la multitude d'autres bâtiments indispensables a la bonne marche du camp.
     Sous la direction d'Assingua qui se donnait à fond, le travail allait bon train. Les bâtiments semblaient sortir de terre, les multiples problèmes se réglaient dans la discussion, sans coup de gueule, et lentement, inexorablement nous rattrapions le temps perdu
     Les cuisinières m'adoraient depuis qu'elles avaient pu déménager de dessous leur toile de tente et s'installer dans un abri sec et sans boue ou il était possible de ranger la nourriture de manière à peu près correcte et de cuisiner sans patauger et en restant sèches, avec en plus, le luxe d'une chambre ou elles pouvaient se retrouver entre femmes. J'avoue que j'avais était un peu inquiet au début de mon séjour, la présence de trois femmes, dont une jeune et très jolie dans un camp en majorité masculin est souvent la source de multiples ennuis, surtout sous ces latitudes ou les êtres ont le sang chaud. Mais je n'avais absolument rien a redire, Magdalena semblait parfaitement en contrôle de sa jeune sœur et de sa fille et Juanita souriante et jolie semblait être l'amie de tout le monde, mais n'était " l'amie " de personne.  
     Assingua avait mis un des charpentiers en charge de construire un peu de mobilier, nous avions maintenant des vraies étagères pour la cuisine, des vraies tables et des vrais bancs au réfectoire. J'avais même hérité d'une chaise et d'une table dans un coin de la grande pièce qui me servait de bureau, et sur ce bureau trônait une solide caisse de bois avec son cadenas, ou je rangeais les quelques papiers importants et le peu de cash que j’avais toujours avec moi, en gros le luxe
     Je profitais de la bonne marche de l'équipe pour prendre un peu de temps pour m'installer un peu plus confortablement, je “volais” une petite étagère a la cuisine et je l’installais dans ma tente et c'est ainsi qu’en rangeant mes vêtements je retombais sur le colt de Bill que j'avais a moitié oublié. J'étais un peu nerveux d'avoir ce colt dans ma tente au fond d'un sac ou tout le monde pouvait venir, je décidais donc pour raison de sécurité de l’emmener dans le bâtiment principal ou il y avait toujours quelqu'un et de le planquer dans la grande caisse de bois fermée au cadenas, sur mon bureau.       
     Bref, tout allait a peu près bien, à peine trois semaines après mon arrivée, le camp commençait a s'organiser, les cuisinières heureuses cuisinaient mieux et tout le monde en était content. Chacun pouvait manger et dormir au sec et s'isoler dans de vraies toilettes au lieu du petit tour dans les bois et chaque nuit les générateurs illuminaient le camp. Chaque soir nous retrouvait dans le grand bâtiment en compagnie d'Assingua et d'une poignée de personnel clef a préparer le travail du lendemain, a boire un dernier café et aussi parfois a partager quelques bouteilles de bière ou même un peu d'alcool fort. Et c'est durant une de ces soirées que vinrent les deux cinglés. 
     Il était peut être 9 heures, tout le monde avait terminé le repas du soir, Magdalena et sa sœur rangeaient les gamelles dans le coin-cuisine avant de se retirer pour la nuit. Juanita servait les dernières tasses de café, nous discutions de la pluie qui n'en finissait pas. Là-bas sous leurs tentes les ouvriers dormaient déjà, j’étais en train, comme chaque soir, de refermer a clef la caisse de bois sur mon bureau, prés a allé dormir, lorsque la porte de la grande salle s'ouvrit brutalement et deux hommes apparurent.
     Le premier, un hercule de près de deux mètres, hirsute, couvert de boue et dégoulinant de pluie, un revolver a la main tira deux balles au plafond et ordonna a tout le monde de se mettre le dos au mur. Le deuxième, beaucoup plus petit et beaucoup plus jeune, mais tout aussi sale et trempé tenait a la main un long couteau, un de ces longs couteaux typiques de l'Amérique du Sud au manche de corne et a la lame recourbée, qui brillait dans la lumière. La seconde ou ils étaient entrés je m'étais levé, tout le monde était maintenant debout et dans une panique indescriptible. Tout le monde se bousculait, les bras en l'air essayant de se coller au mur le plus discrètement et rapidement possible, essayant de ne pas se faire remarquer par nos deux attaquants. Je fis de même, le pan de mur derrière mon bureau étant encombré de boites et caisse multiples, m’interdisant de m’approcher de ce mur, je fis donc le tour du bureau et je m'appuyais le dos a ma table de travail, les main en l'air comme tout un chacun.
     Ramon, le jeune mécano eu le malheur de ne pas bouger assez vite ou peut être d'esquisser un geste maladroit, la brute le regarda à peine et tira dans sa direction, il reçut une balle dans l'épaule, mais parvint avec effort a ne pas s'écrouler et a rejoindre sa position dos au mur. À l'autre bout de la pièce Magdalena et sa sœur se serraient l'une contre l'autre, poussant des petits cris affolés. Juanita était presque au centre de la pièce et se précipita en direction de sa mère vers le coin cuisine, malheureusement elle devait passer près du jeune mécréant au couteau qui dans un geste vif l'attrapa par un bras et la poussa brutalement contre une table. Elle poussa un hurlement de frayeur, le jeune malandrin la gifla brutalement tout en la poussant encore plus vers ce recoin de la pièce.
     Le grand gaillard au milieu de la pièce s'en prenait maintenant avec férocité au vieux Carlos, notre doyen, qui semblait être complètement perdu et désemparé, il le frappa vicieusement d'un coup de crosse a la tête, il tira une fois de plus et je pense que c'est un pur miracle que nul ne fut touché, nous étions tous paralysés par la surprise et la peur.
     Je regardais fixement l'homme au revolver, sachant qu'il était le plus dangereux des deux, me demandant ce que je pouvais faire pour contrôler la situation, du coin de l'œil j'observais Juanita et le plus jeune des deux voyous. À l'autre bout de la pièce le jeune cinglé avait coincé Juanita contre une table, il avait glissé son couteau dans le décolleté de la robe, entre les seins de la jeune serveuse, le dos de la lame touchant la peau, le coté tranchant vers l'extérieur, il faisait maintenant descendre ce couteau vers le bas, dans un lent mouvement de scie, dans le but évident de coupé en deux tout l'avant de la robe de Juanita. Elle était trop terrorisée pour faire un bruit ou se défendre et a quelques mètres seulement je regardais totalement impuissant.
     À quelque mètres de moi, Carlos frappé a la tête s'était écroulé, il aurait certainement dût rester au sol et faire le mort, mais mut par je ne sais quel instinct ou quelle fierté, il essayait de se relever, la brute le regardait avec un sourire cruel attendant qu'il fut a moitié debout pour le frapper de nouveau. Je décidais de profitais du fait que l'un était occupé avec Juanita et l'autre avec Carlos et que donc, pour quelques secondes nul ne prêtait attention a moi pour tenter ma chance.
     La caisse de bois était juste derrière moi, encore ouverte, et la sous les papiers le colt de Bill chargé de cinq balles de quarante-cinq. Lentement ma main se dirigea vers la caisse, ma main était maintenant dans la caisse et avait trouvé le colt, mes doigts s'enroulaient lentement autour de la crosse de bois dur, mon pouce était maintenant sur le chien, prés a le tirer vers l'arrière pour l’armer. Mais je ne me faisais aucun doute, le déclic du chien allait faire un bruit du tonnerre dans cette pièce qui était maintenant silencieuse comme une tombe et attirerait l'attention des gangsters, il me fallait donc attendre, un bruit qui couvrirait ce léger déclic.
     Là-bas le couteau du voyou avait atteint la hauteur du nombril de Juanita, sa robe était maintenant ouverte et ses seins étaient offert a l'air libre, les yeux du salaud brillaient d'excitation, sa main gauche commençait a fouiller vers son pantalon. Juanita n'y tint plus elle poussa un hurlement strident qui fit sursauter tout le monde dans la pièce, c'est la chance que j'attendais, mon pouce tira vers l'arrière .... le colt était armé.
     Le grand gaillard avait frappé une fois de plus Carlos qui gisait maintenant sur le sol complètement KO et il se désintéressait de lui, après tout ils n'étaient pas ici pour brutaliser les gens, mais pour volait l’argent qu’il pensait que nous avions en abondance. Il jeta un regard autour de lui et immédiatement reconnu Assingua et moi pour les responsables du groupe et les plus susceptibles de détenir l'argent, sans hésiter il se dirigea vers moi.
     Il tenait toujours son revolver a la main droite, mais il ne le braquait plus vers personne, le tenant seulement a bout de bras le long de son corps. Il se positionna devant moi les jambes légèrement écartées, un rictus méchant et les yeux brillant de haine, il saisit le col de ma chemise de sa main gauche, me soulevant a moitié du sol avec force.
     "Alors gringo, ça te suffit pour voir qu'on ne plaisante pas, ou bien il t'en faut plus, envoie le cash et on s'en va tranquillos "
     Je le regardais dans les yeux, mais du coin de l'œil, je voyais aussi Juanita et le complice du bandit, la robe était maintenant complètement coupée, les lambeaux pendaient lamentablement de ses épaules, elle pleurait silencieusement, un peu plus loin sa mère et sa tante pleuraient aussi. Le jeune voyou avait ouvert son pantalon et sortait son sexe ... et je crois que ce fut ceci qui me décida.
     Presque sans effort, comme dans un mouvement naturel et pratiqué des milliers de fois, ma main sortit de la caisse, le colt était là, dans ma main, armé et prêt a tirer. Je posais le canon sur la poitrine de mon assaillant, il sentit le contact, son regard se baissa et il vit mon arme. L'espace d'un instant je crus qu'il allait comprendre et que je ne serais pas obligé de tirer, puis je devinais plus que je ne vis son bras droit se relever, je n'avais plus le choix, je pressais la détente. Le coup éclata dans le calme de la pièce, pour une seconde son visage montra la surprise et puis la douleur, il avait reçu la balle en plein cœur a bout touchant. Ses jambes semblèrent se plier sous son poids, de la main gauche je le repoussais brutalement, il s'écroula sur le dos. Je levais mon bras droit et le colt dans la direction de Juanita et de son attaquant, ma main gauche se souleva venant soutenir ma main droite qui tenait le colt braqué vers la poitrine du violeur.
     Je ne réfléchissais plus, j'étais devenu une machine, j'étais prés a l'abattre comme j'avais abattu son ami et seul la peur de toucher Juanita ou un de mes hommes me fit hésiter. Il me regardait avec surprise et incompréhension qui se transformait maintenant en peur, il laissa tomber son couteau. L’espace d’un instant je crus qu’il allait lever les bras au ciel, il essayait de parler mais aucun son ne sortait de ses lèvres, puis il se ressaisit un peu, il marchait à reculons vers la porte, traînant Juanita avec lui, mon doigt était crispé sur la gâchette, nul ne disait un mot ou ne faisait le moindre bruit, il ouvrit la porte sauta dans la nuit et s'enfuit en courant. Je laissais mon bras se rabattre lentement le long de mon corps.
     Comme dans un rêve je vis Juanita qui rassemblait autour de son corps ce qui restait de sa robe puis se précipitait vers sa mère et sa tante qui l'entrainèrent vers la petite chambre. Je vis quelqu'un qui se précipitait pour aider Ramon et quelqu'un d'autre qui allait aider Carlos. Je restai là les bras ballant encore sous le choc, Assingua s'approcha de moi et lentement, très lentement prit l'arme de mes mains et la déposa sur ma table. Je me laissais faire, il me conduit vers une chaise ou je m'assis sans un mot. J'avais besoin de quelques minutes pour revenir au monde normal.
     Tout autour de moi le brouhaha continuait, tout doucement je reprenais contact avec le monde, j'entendis quelqu'un affirmait que le vieux Carlos s'en tirait avec une jolie bosse, mais pas trop de dégâts. La blessure de Ramon saignait beaucoup, mais la balle avait seulement éraflée le haut de son épaule, l’infirmier était en train de le panser, là encore rien de grave. Bien sûr, Juanita avait subi subit un choc, et nous l’entendions pleurer hystériquement de l’autre cotée de la mince cloison, mais par chance j’avais réussi a stopper le petit salaud avant qu’il ne soit trop tard, elle était jeune et je ne pouvais qu’espérer qu’elle s’en remettrait vite.
     Quant au grand gaillard, sur lequel j’avais tiré, nul ne semblait s’en inquiéter, il gisait sur le sol dans son propre sang et il était évident qu’il n’aurait plus jamais besoin de quoi que ce soit.
     Magdalena apparut avec une tasse de café, dans lequel quelqu’un avait versé une solide dose de quelque chose de très fort, elle ne dit pas un mot bien sûr, mais son regard en disait bien plus que toute longue conversation inutile. Je bus le café à petites gorgées, essayant de réorganiser mes pensées, le danger était maintenant écarté, mais la chose était loin d’être réglé, il me fallait maintenant aviser et réagir correctement. Si la police mettait son nez dans cette affaire, je serais arrêté et il était hors de question que j’accepte de me laisser enfermer dans la petite prison minable de X téqui sans savoir si j’avais ou non des chances d’en ressortir un jour.
     J'appelais Frédérico, je lui demandais d'aller immédiatement préparer ma camionnette, le plein, l’huile, etc. et ensuite de la garer à proximité de ma tente et de revenir ici dès que cela serait fait, il acquiesça et sortit, puis j’appelais Assingua et je lui expliquais ce que j’allais faire.
     “ Okay, Assingua, voici ce que nous allons faire, Frederico est en train de préparer ma voiture, je ne vais pas attendre que la police arrive et me fiche en taule pour un truc pareil. Tu l'as vu aussi bien que moi, je n'avais pas le choix, je ne pouvais pas les laisser violer Juanita et brutaliser tout le monde, j'étais obligé de tirer, je suis un étranger et nul n’aime les gringos ici. Tu sais aussi bien que moi que s'ils m'arrêtent, la chose va traîner des mois, peut-être des années et pendant ce temps-là je risque de moisir en prison, non je ne prends pas le risque de croire en la justice, je me sauve, je disparais complètement.
     Vers sept ou huit heures du matin, tu enverra Frédérico avec la deuxième voiture afin d’informer la police de X téqui, comme cela tu sera couvert et nul ne pourra rien te reprocher. S'ils te demandent pourquoi tu n'as pas envoyé Frédérico plus tôt, tu pourra toujours leur dire que tu pensais que j'étais parti pour les prévenir et que ne les voyant pas arrivé, tu as compris que je m’étais enfui”
     Assingua me regardait sans même sourire, très sérieusement il enchaîna
     “ Si Frédérico part vers huit heures du matin, il arrivera a X téqui au environ de midi, même en supposant que la police se remut très vite, ils ne se mettront pas en route avant une heure de l’après-midi, ce qui revient a dire qu’ils ne seront pas la avant cinq heures. Ils feront leur enquête et en déduiront ce qu’ils veulent, et comme la radio sera en panne, ils n’auront aucun moyen de communiquer avec leurs supérieurs et ils leurs faudra donc repartir par la route, ce qui revient a dire qu’ils ne seront pas a X Téqui avant neuf ou dix Heures du soir et n’auront pas possibilité de faire quoi que ce soit avant le lendemain, c’est bien cela que tu me dis
     “ C’est tout à fait ça, ce qui me donne environ 24 heures d’avance, tu es un homme très intelligent Assingua, un homme très précieux et un ami de valeur “
     Quelques minutes plus tard, j’avais jeté en vrac dans mon sac la totalité de mes vêtements, je posais dessus le colt de Bill, je chargeais le sac dans la voiture et j’étais prêt à partir. Je saluais tout le monde, puis je montais dans la camionnette, au moment de partir Assingua se pencha a la portière et murmura doucement
     '' Je connais Magdalena et Juanita depuis toujours, elles sont un peu comme ma famille ... tu peux compter sur moi ... pour tout ...''
     Puis il me tapa amicalement sur l'épaule et me glissa un objet qui était le couteau du jeune maraudeur  " Garde ceci en souvenir "
     Je lui serrais la main, je passais la première et je m’enfonçais sur la piste infernale et boueuse. Je traversais X téqui vers trois heures du matin, je jetais un coup d’œil en direction des bureaux de la Guardia Nationale et continuais ma route en direction de X Téqua. Je pris le temps de m’arrêter sur un pont et de balancer le colt dans les eaux d’un torrent, puis je continuais sur la route bitumée et a cinq heures du matin, je réveillais Joël. Autour d’un café et d’un petit déjeuner, je lui racontais tout. Il n’appréciait pas du tout la situation et aurait donné n’importe quoi pour que ce fût une plaisanterie, la situation était grave, mais bien sûr il comprît que je n’avais pas pu faire autrement. Il savait que je n’étais pas du genre a m’amuser avec un flingue, il savait aussi qu’un peu partout ailleurs dans le monde j’aurais pu, vu le nombre de témoins, m’en tirer sans trop de problèmes, mais ici, lui aussi avait des doutes sur le fair-play de la justice vis a vis d’un gringo. Il comprenait qu’il était hors de question que je me laisse arrêter en espérant m’en sortir en plaidant la “self défense “.
     Après plusieurs minutes a râler et a tergiverser, a gueuler et je ne sais quoi, il prit finalement sa décision. Il m’emmena lui-même a l’aéroport et je m’embarquais sur un avion en direction de la capitale ou je pourrais sauter sur un vol international qui m’aurait sorti du pays avant même que la police n'ait eu la chance de constater la mort du voyou.
     “ Je vais informer la boite a Paris que tu es reparti en urgence et que tu demandes deux mois de congé exceptionnel pour cause de problème familial, et à partir de là, on va voir ce qui se passe, tient toi près au pire quand même, je ne pense pas qu’il te pourchasse a l’autre bout du monde pour un truc comme ça, mais qui sait “
     Là-dessus je m’embarquais à bord de l’avion et ce fut la dernière fois que je le vis et aussi étrange que cela puisse paraître, je n’entendis plus jamais parler de cette affaire.
     Quelques jours plus tard, je reçus à mon domicile un courrier m’informant que mon congé de deux mois était accordé, puis deux mois plus tard un autre courrier m’informant de mon transfert immédiat au Venezuela. J’ignorais complètement si Joël avait informé les bureaux de Paris de ce qui s’était passé ou s’il avait pris le risque de garder l’info a un niveau local, j’entendis dire qu’il avait demandé un transfert et qu’il travaillait maintenant en Afrique.
     À ce jour j’ignore encore si Assingua envoya Frédérico a X Téqui pour informer la police ou s’il décida tout simplement de balancer le corps du malandrin a la rivière, en faisant jurer a ses Indiens de garder le secret. J’ignore si, la police étant informé, réalisant que j’avais quitté le pays en urgence et considérant la manière dont les choses s’était passé, ne décida pas tout simplement de laisser courir.
     J’ignore complètement et totalement ce qui se passa après mon départ, je ne revis jamais Assingua, ou Joël, ou Juanita ou une quelconque des personnes qui était présent cette nuit-là.
     Durant les mois et les années qui suivirent je continuais a travailler en Amérique du Sud et je gardais ouvert yeux et oreilles pensant qu’un jour j’entendrais quelque chose a ce sujet, mais rien, absolument rien, comme si cette nuit n‘avait jamais existée.
     D’ailleurs devant ce manque total et absolu d’infos, il m’arrive parfois le soir de me poser la question
   “ Ai’je vraiment vécu cette nuit-là, ou bien est-ce que je l’ai rêvée un soir d’ivresse''
     Mais voilà .....  si j'ai rêvé cette nuit un soir d'ivresse .....  Alors que quelqu'un m'explique, d'où vient ce grand couteau au manche de corne et a la lame recourbée qui semble me narguer, la, accroché au mur ?   

Amis lecteurs
     Le camp sismique perdu au fond de la forêt Amazonienne a vraiment été construit et a été opérationnel pour de nombreux mois. Assingua et Magdalena vieillissent probablement ensemble quelque part dans une petite ville des Andes. Bill, l’américain n’était peut-être pas tout a fait aussi fada que je veux bien le dire. L’attaque, par nos deux cinglés a vraiment eu lieu et aurait pu très mal se terminer. Juanita n’a pas été violée, le grands escogriffe n’a pas été tué, et le couteau au manche de corne n’est pas accroché a un mur de mon salon ….  et les deux malandrins se sont enfui dans la nuit avec notre fric ……. Mais voilà, j’ai toujours rêvé d’être un héros, défenseur de la vierge, la veuve et l’orphelin  ……     

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