Lorsque l'on quitte Lima, ville de bord de mer, au climat somme toute pas très froid et que l’on s’enfonce vers l'est et l’intérieur du Pérou, on entre presque immédiatement sur une route de montagne qui s'élève aussitôt vers les sommets des Andes. Très rapidement la température change, tombant de plusieurs degrés en l'espace de quelques kilomètres, le paysage devient aride et sec et quelques heures plus tard nous passons un haut col, cherchant a respirer correctement et grelottant dans un vent glacial complètement inattendu dans ce pays aussi près de l'Équateur.
Nous ferons une escale dans un des multiples petits restaurants aux environs du sommet ou l'on pourra déguster une truite pêchée dans un torrent quelques heures plus tôt, accompagnée non pas d'une bouteille de blanc, mais d'une multitude de tasses de thé de feuilles coca, boisson énergétique qui aidera a supporter le froid et le manque d'air.
Puis ce sera la descente de l'autre côté, tout aussi rapide et imprévue. Le paysage change de nouveau, les terres deviennent moins arides, une multitude de petits cours d'eau dégringolent des sommets, la montagne devient plus verte, la température remonte, devient presque trop chaude et avant d'avoir compris nous sommes déjà dans la forêt amazonienne, moite et humide. Et c'est la bien sûr, dans cette forêt, éternelle et puissante que nous avions la majorité de nos contrats.
Au environ de 97 ou 98, un de nos contrats nous entraina vers le sud-est du pays, presque sur la frontière bolivienne, tout près de Puerto Maldonnado, la capitale de l'état de " Madre de Dios ", sur la rivière du même nom.
Que dire de Puerto Maldonado, pas grand-chose, juste une autre ville d'Amérique du Sud, fondée en 1912, pour la collecte du caoutchouc et qui doit sa grandeur et son titre de capitale de l'état au seul fait qu'elle existe au bord d'une rivière importante et navigable et qu’elle est la seule grande ville a des centaines de kilomètres a la ronde. Quoi qu’il en soit Puerto Maldonado, n’était pour nous qu’une ville de passage, qu’un aéroport indispensable, puisqu’après un rapide séjour nous repartions déjà vers le but final de notre voyage, un minuscule petit village nommé Mazuko, sur la route de Cusco.
C’est là que notre équipe s’installa en plein cœur du village, dans un camp qui avait été abandonné quelque mois plus tôt par une autre compagnie sismique en faillite. Il y avait bien sûr quelques petits travaux pour remettre les choses en états, mais cela ne nous pris pas trop longtemps et très rapidement nous étions opérationnel.
Je tiens ici à saluer mon ami Eduardo, un Argentin qui était notre chef de mission, pour une initiative qui restera, je crois, dans les mémoires. Notre client américain, probablement un fanatique religieux ou je ne sais quoi, décida que l’alcool étant mauvais pour la santé serait interdit sur toute la surface du camp. Le client étant roi, Eduardo ne discuta pas la décision, il traversa seulement la rue et loua le petit bar d’en face pour l’usage exclusif des membres de la mission et c’est ainsi que tout un chacun put se désaltérer ou même s’enivrer durant les mois qui suivirent, la seule personne n’étant pas admise dans le bar étant bien sûr le représentant du client.
J’étais sur ce contrat en charge de l’entretien du camp, de l’atelier mécanique et du contrôle et de l’organisation de quelques vingt groupes de forage.
La zone était plutôt difficile du point de vue géographique, située sur les contreforts des Andes, elle offrait un relief cassé et impitoyable. Marcher dans la forêt amazonienne est bien sûr toujours difficile, puisqu'il faudra affronter une végétation épaisse et un sol pratiquement toujours humide et glissant, mais lorsque nous ajoutons a cela le transport a dos d'homme de machine de forage démontée et un relief vraiment abrupt, la chose devient très vite presque impossible. Les équipes de topographe et d'ouvertures précédant mes équipes avait taillés dans la forêt des layons très bien dégagés et avaient même construit dans les passages les plus difficiles des petit ponts, creusés des marches dans la glaise et installés des cordes auxquels il était possible de s'accrocher pour escalader, mais les mouvements du matériel restaient tout de même un exploit journalier.
Par chance j’avais avec moi une solide équipe d’assistants tant au point de vue mécanique qu’au point de vue forage, et les travailleurs de la région, la plupart ayant grandis et vivants dans la forêt étaient habitués a ce genre de relief et semblaient trouvés la chose tout à fait normale. J’avais donc le temps de m’organiser à l’avance, de repérer le terrain avant l’arrivée de mes troupes, de visiter mes équipes plus ou moins régulièrement et les choses n'allaient pas trop mal et le moral était bon.
Après cette zone montagneuse et difficile, nous devions nous rapprocher d’une zone tout à fait différente, une zone beaucoup plus plate et beaucoup plus facile d'accès puisqu’elle était traversée par plusieurs pistes et chemins de terre et une rivière importante. Mais là, nous risquions de nous heurter a un autre problème, puisque cette zone était extrêmement peuplée par une multitude de chercheurs d’or, certains travaillant à grande échelle avec tout le matériel moderne, mais beaucoup d’autres travaillant encore a l’ancienne et de manière artisanale.
Si l'on en croyait la multitude d’histoires entendues dans la région sur ce petit coin du monde, les possibilités d’ennuis étaient infinies. Tout d’abord nos ouvriers, qui venaient de passer quelques deux ou trois mois isolés en forêt allaient du jour au lendemain se retrouvaient au contact de la civilisation, ce qui voulait dire alcool et bien sûr compagnie féminine qui était largement disponible dans ces quelques deux ou trois gros villages. De plus et cela n’était un secret pour personne, la zone était connue pour une insécurité bien supérieur a la moyenne. Les forces de police étaient inexistantes, les vols et la violence n’étaient pas rare, de nombreux chercheurs d’or se méfiaient de leurs voisins, les armes étaient partout et si les "bruits qui couraient” étaient vrais, il n'était pas rare qu'un chercheur d'or accueille, le fusil a la main un passant qui s'approchait trop près de son petit bout de terrain qu'il croyait remplie de pépites et de poudre d'or.
Il est vrai que la zone attirait une multitude de gens de toute origine et dont certain pouvaient avoir un passé douteux ou brutal, mais nous étions tout de même au Pérou, vivant les dernières années du vingtième siècle et non pas au Far West vivant une ruée vers l'or en 1850.
Quoi qu’il en soit, je décidais d’aller repérer les lieux avant que mes équipes n’arrivent sur place, histoire de savoir tout de même où je mettais les pieds et bien sûr, histoire de voir cette zone qui de par sa différence avec le reste du monde ne pouvait qu’être intéressante.
Je partis donc un beau matin, accompagné d'un chauffeur connaissant bien la région, à bord d'une Toyota tout terrain, réservoir plein jusqu'à la gueule et avec casse-croûte pour une paire de jours en direction de cet Eldorado.
Le début de ce petit voyage fut extrêmement agréable, nous étions sur une piste relativement bonne traversant la forêt, il ne pleuvait pas, la journée était belle et de chaque côté du véhicule défilait l'Amazone que chacun rêve de visiter un jour. Nous aperçurent quelques oiseaux, croisèrent quelques véhicules revenant de la zone aurifère et atteignirent rapidement une large rivière qui répondait au joli non de Rio Topolobampo. Il n'y avait bien sûr pas de pont ni de gué, la traversée de la rivière se faisant sur une espèce de bac a l'allure particulièrement douteuse, puisque il s'agissait tout simplement de quatre grosses pirogues amarrées les unes aux autres avec d'énormes cordes et sur lesquels avait été installé un grossier plancher de bois. La chose était largement suffisante pour notre petite Toyota, mais servait aussi pour le transbordement de camions allant jusqu’à dix ou quinze tonnes, et là, je pense que les limites de la sécurité étaient très largement oubliées. L’idée d’un bac est bien sûr d’être amarrée a un gros câble d’acier qui le maintiendra en ligne sur la rivière et assurera son arrivée au bon endroit de l’autre côté. Le bac qui nous transporta ce jour-là n’avait bien sûr pas de câble et était simplement entraîné par deux puissants moteurs hors-bords contrôlés par deux jeunes gens aussi décontractés que l’on peut être. Le chauffeur m’informa que quelque mois plus tôt le bac avait chaviré et envoyé par le fond un énorme camion et je dois dire que la chose ne me surprit pas outre mesure. Une fois la rivière traversée, nous continuèrent sur une piste de forêt qui je pense avait dut être ouverte par un bulldozer, il y a longtemps déjà et qui n’avait jamais reçu le moindre entretien ou le moindre chargement de pierres ou de gravillons. Sachant que l’Amazone voit des pluies presque journalières, il n’est pas dur d’imaginer que la piste n’était qu’une masse de boue et d’ornières profondes, une saignée dans la jungle détrempée et défoncée par le passage de multiples véhicules depuis de nombreuses années.
Le chauffeur ne parlait plus, ne prenait plus le temps d'expliquer ceci ou cela et se concentrait a cent pour cent sur sa conduite, conscient du risque constant de s'embourber dans une quelconque ornière, mais surtout conscient du risque de se trouver nez à nez avec un énorme camion qui n'essayera même pas de s'arrêter, assumant que puisque tu es le plus petit et donc le plus maniable tu vas t’écarter de son chemin et donc ne prendra pas le risque de ralentir et de s'embourber.
La Toyota longeait maintenant la rivière, de temps en temps sur le bord de l'eau je voyais un chercheur d'or, lavant la terre dans une trémie de bois comme cela se faisait depuis des millénaires. Plus nous avancions vers El Dorado, plus ces petits prospecteurs devenaient nombreux, j'ignore s’ils avaient du succès, mais ils étaient là, accomplissant leur travail de fourmi, avec pelle et pioche comme au temps de César.
Puis, après ces nombreux petits campements éparpillés sur le bord de la rivière, ce fut le premier village, un mélange assez surprenant de bidonville, d'architecture locale et de système D. Au milieu du village se pavanaient cinq ou six bâtiments un peu grandioses abritant deux ou trois bars, le " Général Store " ou le bordel. Nous traversèrent ce village pour continuer à travers les champs aurifères ou se multipliaient les petits prospecteurs artisanaux et archaïques, leurs cabanes de bois, leurs tentes et leurs trémies branlantes. Je commençais à croire que je m'étais complètement trompé, nous n'étions pas au Pérou vivant les dernières années du vingtième siècle, mais bel et bien au Far West en 1850.
La région ressemblait plus à un décor de cinéma pour la ruée vers l'or, qu'à une exploitation aurifère moderne, je me croyais en train de jouer dans le film " Paint your Wagon ", il ne manquait plus que Lee Marwin, John Wayne et le justicier masqué sur son cheval blanc.
Imperturbable et blasé, mon chauffeur continuait, il avait recommençait a parler et a me montrer et m’expliquer les points importants. Nous traversèrent un second village plus petit, mais similaire au premier pour continuer vers ce qui était tout de même le but de notre voyage, la zone d’exploration aurifère que nous devions traverser avec nos lignes sismiques.
Et soudain, au détour de la piste serpentant au flanc d’une petite colline, nous sortimes de la forêt pour découvrir en contrebas ce que j’appelle encore la vallée de l’or.
Au loin, loin, loin devant nous une rivière débouchait dans la vallée entre deux collines boisées, apparemment très large et gonflée d’eau venant des sommets enneigés des Andes, elle entrait dans la vallée et semblait tout simplement disparaître. Au fil des mois, des années et même peut être des siècles, l’être humain a la recherche du métal jaune, avait pelleté, pioché, creusé, arraché les rives du Rio, la terre ainsi récupérer était lavée soigneusement avant d’être rejetée dans le lit de la rivière. La rivière s’était élargie au fil des ans, ne ressemblant plus en rien a ce qu’elle avait dû être autrefois, la terre rejetée dans le lit en avait relevé le niveau et après des années d’exploitation l’énorme cours d’eau s’était nivelé et n’était plus qu’un immense plateau au milieu duquel couraient une multitude de minuscules ruisseaux. La vallée et le Rio n’était plus maintenant qu’une large plage de terre brune traversée par des centaines de petits cours d'eau.
Un peu partout, une multitude d’hommes à la recherche de leur fortune travaillaient sans relâche, les uns à l’ancienne et d’autres avec le matériel le plus moderne du siècle. Les bulldozers Caterpillar côtoyant la pelle et la pioche et l’éternel bourricot du chercheur d’or.
Sans que je lui dise, mon chauffeur s’était arrêté afin de me donner la chance de tout voir, j’ouvrais grand les yeux essayant d’absorber tout ce que je voyais, sachant à l’avance que je ne serais jamais capable de le décrire. À mon signal il se remit en route afin de me faire visiter ce que faute d’un autre non il me faudra bien appeler la ville. Juste sur le bord du Rio, construite sur pilotis au cas où la rivière monterait brusquement, elle aussi sortait tout droit d’un film de cow-boys. La ville de Huaypetue étalait sa rue unique et boueuse, ses baraques de bois, ses bars de “ Luxe “ ses restaurants douteux et ses tripots infâmes, sans oubliés bien sur son Magasin Générale, ou tout se vend et tout s’achète, y compris la poudre d’or.
Quelque part en bordure de la ville, s’élevait un bâtiment aux murs solides qui n’était point la banque, mais tout simplement la concession Caterpillar, essayant de se protéger du mieux possible contre les voleurs de pièces détachées. Un peu partout, près des bars ou des magasins, près des chambres a loué a la journée ou a l'heure, près du Général Store ou de la concession Caterpillar ou près de la mini chapelle pas encore finie, une multitude de femmes jeunes ou vieilles, jolies ou défraîchies, sexy ou trop vêtue s’offrait au prospecteur argenté.
La ville grouillait de monde, jeunes, vieux, femmes et enfants, amateurs ou professionnels chevronnés de la recherche de l'or se côtoyaient et se bousculaient, pressés de terminer leur business en ville et de retourner sur leur lopin ou les attendait la fortune.
Si certains de ces chercheurs savaient vraiment ce qu'ils faisait et étaient employés par des compagnies solides, fournissant le matériel adéquat, le logement et les moyens nécessaires a l'exploitation de l'or qui existait réellement dans cette vallée, la plupart des gens n'étaient au contraire qu'une poignée de rêveurs venus tenter leur chance avec des moyens archaïques et insuffisants et s'imaginant faire fortune en quelques jours. Nombre d’entre eux étaient arrivés au bout de leurs ressources, mais s’entêtaient encore soutenus par l’espoir fou et irraisonnable, espérant jusqu’à la dernière minute la pépite miraculeuse. La misère était palpable et de nombreux yeux brillaient de foi en une découverte juteuse, d'un espoir irraisonné ou peut être d'un début de folie
L’insécurité et la peur étaient partout, recherchant le passage d’une de nos futures lignes sismiques, j'entrais sur un terrain que je croyais être propriété publique et ou je fus accueillis par un homme armé d'un fusil qui semblait daté de l'invasion espagnole. Je ne m'attardais pas a vérifier si l'arme était en ordre de marche ou non, son regard suffit largement a me faire comprendre qu'il ne servait a rien de discuter. Il semblait que tout un chacun était persuadé d'avoir trouvé le filon le plus riche du Comté et avait peur de se le faire voler.
Durant les quelques heures qui suivirent, j’oubliais mon travail, je n’étais plus qu’un visiteur de passage, curieux d’absorber cette atmosphère particulière, curieux de tout voir, de tout découvrir et de tout comprendre et d’emmagasiner le souvenir de cette journée et de cette zone hors du monde et du temps. Je rentrais le soir au camp de base, fatigué et heureux de mon voyage, mais n’ayant en aucun cas progressé vers la solution de nos futurs problèmes pour traverser cette zone.
Le futur nous montra que nous nous étions inquiétés pour rien, nos équipes traversèrent ladite zone sans grand problème et s’enfoncèrent de nouveau dans la forêt. Il y eut bien sur quelque “cuites “ mémorables, quelques gueules de bois, quelques bagarres pour une mulâtre aux yeux noirs, mais nuls ne fut blessé et tout se régla plus ou moins calmement sur le terrain.
C'est au retour de cette petite expédition que j'eus l'idée d'une blague, pas très intelligente peut-être, mais qui a ce jour me fait encore sourire. Dès mon retour, je me rendis a l'atelier de soudure et me saisissant d'une tige de bronze j'entrepris de créer une pépite d'or. Je fis fondre au chalumeau un peu de bronze, j'obtins ainsi une boulette jaune et brillante que je roulais dans la poussière afin de donner a ma boule une allure sale et rugueuse. Puis avant qu'elle ne refroidisse, je la martelée un peu afin de lui donner une forme irrégulière et grossière et je me trouvais ainsi l'heureux propriétaire d'une petite pierre ressemblant au premier coup d'œil a une pépite ayant traîné dans les ruisseaux depuis un million d'années. Il est bien évident qu'aucun professionnel ne pouvait se tromper et qu'il reconnaîtrait immédiatement que ma pépite d’or n’était que du bronze, mais l'idée n'était pas de tromper un professionnel, mais de faire marcher un amateur,
Et pour marcher on peut dire que cela marcha, j'annonçais a haute voix et a qui voulait l'entendre que j'allais passer mes prochaines détentes a prospecter la région pour trouver de l'or. Je montrais ma pépite comme preuve que j'avais mis la main sur un filon et j'invitais mes collègues de travail a investir dans ce qui allait être l'affaire du siècle. Je promettais a qui voulait l'entendre qu'une part de quelques centaines de dollars pouvait rapporter beaucoup plus et que je faisais tout le travail, etc.
La plupart de mes collègues me riaient au nez, bien sûr, mais un des mécanos hélico me jugea assez fou pour réussir et me proposa 300 dollars que bien sûr je refusais, mais a ce jour je le remercie de m’avoir fait confiance et parfois je me demande si je n’aurais pas dut être escroc ..... Qui sait .... C’est peut-être là qu'était ma mine d’or
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