Il me parait évident, que je ne peux pas aller plus loin sans vous racontez mon petit séjour a Satipo. Avec le recul des ans, j’ai plutôt envie d’en sourire, et pourtant je dois bien l'avouer, il fut un temps, un tout petit moment de ma vie ou je n'avais pas du tout, mais alors pas du tout envie de sourire.
Alors bien sûr, commençons par le commencement et parlons de Satipo. Une petite ville de quelques centaines d'âmes perdues là-bas au Pérou, a la limite des Andes et de la forêt amazonienne. Une petite ville banale, qui essaye de survivre avec un peu de tourisme, un peu d’agriculture et joue avec son titre de “centre administratif “. Une petite ville avec une histoire, puisque l’on raconte qu’elle cache encore quelque part des trésors incas, bref une petite ville comme tant d’autres, qui s’étale autour de sa place d’armes, de son église et de sa mairie. Une petite ville, qui si je m’en souviens bien, était somme toute très agréable, mais une petite ville qui a beaucoup souffert, puisqu’il y a seulement quelques années elle était encore un des repaires du groupe révolutionnaire péruvien, "le Sentier lumineux ". Une petite ville ou il n'était pas rare en ces jours de révolution de trouver un cadavre au coin de la rue, une petite ville qui se souvient encore.
Et puis, tant que nous y sommes, parlons maintenant des Gringos. Si j’en crois les histoires que l'on m'a racontées, il semblerait que quelque part au siècle dernier, une partie du Mexique fut occupée par des militaires américains, vêtus de leur traditionnel uniforme vert. Les dits militaires américains, n'étant pas des plus populaires dans la région, étaient généralement accueillis par la population locale par des insultes et des slogans dont l'un des plus populaires était " Green Go... Green Go .... Green Go " et c'est ainsi que naquit le surnom de gringo, qui s'applique donc a tout ressortissant américain et ensuite par extension a tout étranger d'un pays d'Amérique du Sud.
Et puis bien sûr, maintenant parlons de moi et de mon séjour a Satipo, séjour dont je garde tout de même un très bon souvenir, même s’il fut plutôt dur et éprouvant.
Nous étions parti de Lima de très bonne heure, avec deux Toyotas, nous avions passé la cordillère des Andes et après des heures et des heures de conduites sur pistes plus ou moins carrossables, a la tombée de la nuit nous avions atteint l'entrée de Satipo. J'étais crevé, le premier hôtel fut le bon et je m'écroulais sur un lit plus ou moins confortable et m'endormit comme une pierre. De bonne heure le lendemain j'étais debout et je retrouvais dans le lobby de l'hôtel mon compagnon de voyage, Bernard un topographe travaillant comme moi pour une compagnie de recherche pétrolière. Notre boulot a Satipo était des plus simples, pour Bernard il s’agissait de prendre contact avec les autorités locales, de discuter avec le client de la zone d’exploration et en gros de repérer le terrain afin de préparer le travail de ses équipes de topographes qui arriveraient très bientôt. Quand a moi, j’étais la pour superviser et organiser à proximité de la ville la construction d’un très gros camp de base d'où partiraient nos opérations.
Nous primes le petit déjeuner dans un petit restaurant face a la place d’armes, nous discutèrent un peu de la situation, puis Bernard s’éloigna en direction de la “Mairie”, pendant que je me mettais a la recherche de mon contact Péruvien dans la ville.
Juan Pareddés, avait déjà travaillé pour nous, il connaissait très bien la région et avait une très bonne réputation. Je comptais beaucoup sur lui pour m’aider a la construction de ce camp et je dois dire que je ne fus pas déçu. La soixantaine, grand, encore en pleine forme pour son âge, autoritaire et énergique, il était vraiment l’homme de la situation. Il avait déjà loué le terrain pour le futur camp et avait déjà commencé a embauché quelques manœuvres et charpentiers. Le terrain était déblayé et il n’attendait plus que les plans pour commencer la construction, je me penchais immédiatement sur le projet et en quelques heures nous étions en pleine action.
Le soir je retrouvais Bernard au restaurant de la place d’armes, je l’informais de la progression de ma journée et lui me parla de ses contacts avec le client, le maire et la police.
Immédiatement apparut un premier problème de taille. Il était vrai que la rébellion du Sentier lumineux n’était plus un problème de première importance et la plupart des révolutionnaires avaient était arrêtés, emprisonnés ou tués. Toutefois, il restait encore dans la région de nombreuses forces insoumises et incontrôlées et dont on ignorait exactement la position. En fonction de quoi, ni le maire du village, ni le représentant du client, ni les autorités militaires ou policières n’acceptaient d’assumer la responsabilité des étrangers que nous étions. Ils nous demandaient donc, soit de repartir immédiatement vers Lima, soit d’accepter un groupe de protection sur le camp et de travailler en permanence avec des garde du corps. Tout ce personnel serait fourni par l’armée, a notre charge bien sûr de les nourrir et de les loger. Nous n’avions pas le choix et c’est ainsi que je me retrouvais accompagné en permanence par un jeune militaire fringuant, armé d’une mitraillette et d’un grand couteau. L’emplacement du camp se transforma en l’espace d’une nuit en un bivouac militaire bien trop encombré a mon avis, les armes m’ont toujours rendu nerveux, qui sait quand un idiot apeuré va commencer a tiré et s’il va tirer dans la bonne direction.
Le militaire qui m’accompagnait était somme toute bien simpha, même si parfois un peu encombrant, je me déplaçais sans arrêt et a plusieurs reprises je faillis l’oublier ici ou là. Son moment favori était bien sur le repas de midi, puisqu’il avait le privilège de m’accompagner chez Félix, le restaurant de la place d’armes ou je lui offrais le repas et lui laissait choisir ce qu’il voulait sans tenir compte de la facture. Il me considérait comme le plus grand des plus grands, mais refusait toutefois de s’asseoir a la même table que moi, s’installant toujours un peu en retrait, afin disait-il de mieux pouvoir surveiller la pièce et de voir le danger possible, en réalité je crois qu’il aimait être seul afin de pouvoir se resservir sans vergogne.
Au bout de quelques jours, nous avions développé une sorte de relation amicale, ni moi, ni lui ne croyions à un quelconque danger de la part de la révolution et nous pensions que sa présence à mes côtés était un genre de farce concoctée par un petit officier essayant de justifier son existence. Il était heureux d'échapper aux exercices journaliers, de bien manger a midi et ne se cassait pas trop la tête, nous avions a deux ou trois reprises pratiqués le tir avec sa mitraillette sans se prendre au sérieux, juste histoire de lui donner quelque chose et quelques activités de protection a rapporté a son chef.
Tous les soirs a l'heure de la débauche il regagnait sa caserne et me laissait a l’hôtel a continuer ma vie dans la petite ville de Satipo, allant au restaurant ou au bar du coin, a croire qu’en ce coin du monde les révolutionnaires eux aussi débauchaient a l’heure. Ce qui en somme montrait la stupidité de la chose, sa présence a mes côtés dans la journée me faisait remarquer a de potentiels ennemis plus qu’autre chose, et le soir j’étais totalement seul, cible parfaite et isolée.
Quoi qu’il en soit, lui et moi étions en train de devenir la paire la plus connue de Satipo. Je laissais très souvent Juan en charge de l’équipe de construction du camp et je passais une bonne partie de mon temps en ville, toujours a la recherche de la multitude de matériaux indispensables a l’avancement de notre projet. J’étais devenu en l’espace de quelques jours le meilleur client de la scierie. Deux ou trois artisans locaux nous donnaient un coup de pouce et sous-traitaient pour nous. Tous les magasins et quincailleries se disputaient notre clientèle et promettaient des prix plus que compétitifs. J’avais bien sûr, contacté une station-service qui nous ravitaillerait pendant des mois en diesel pour nos véhicules et nos générateurs, sans oublier aussi des accords avec la mairie pour l’alimentation en eau et la future évacuation de nos ordures, etc.
Partout où j’allais je payais cash, ou je signais des Bons qui étaient honorés très rapidement par mon employeur, ce qui bien sûr aidait beaucoup a ma popularité, mon espagnol était un peu hésitant, mais tout un chacun était près a m’aider. Partout où j'allais, mon militaire en grand uniforme me suivait comme mon ombre, quelques mètres derrière moi. Tout le monde nous connaissait sous le surnom du “el gringo y su perro ” “ Le gringo et de son chien de garde “
Mon travail allait bon train, le camp s’élevait gentiment et ce petit coin de la jungle à proximité de Satipo commençait à ressembler à un petit village.
Et tout cela bien sûr, nous amena vers ce jour fatidique qui reste tout de même marqué dans ma mémoire. La journée avait commençait comme d’habitude, départ de l’hôtel le matin de bonne heure, petit déjeuner a six heures chez Félix, arrivée de mon militaire garde du corps, petit voyage rapide vers le camp en construction, réunion rapide avec Juan Parreddés pour régler les milles et un problèmes administratifs, réception d’un chargement de bois, discussion avec les Indiens Ashaninka au sujet de la livraison de feuilles de palmiers qui devaient couvrir nos “paillotes” etc.
Bref la matinée se passa si vite que je ne m’en aperçus pas et ce fut déjà l’heure du repas de midi que j’aurais peut-être oublié si ce n’était la présence de mon garde du corps, qui comme chaque jour se chargeait de me rappeler les choses importantes de la journée, comme quoi il avait tout de même son utilité.
Donc après un rapide retour en ville, nous étions une fois de plus “Chez Félix “ ou je m’assis dans la salle de devant, pendant que mon petit camarade disparaissait quelque part vers l’arrière. Au menu du jour Félix affichait fièrement “Le caldé de Pollo “, une spécialité péruvienne qui n’est somme toute qu’une poule au pot, excellente je dois le dire et qui est en soit un repas complet puisque servie avec d’énormes morceaux de poulet et un nombre impressionnant de légumes. Je commandais donc le “ Caldé de pollo” et je m’installais confortablement, regardant les gens se promenant sur la place d’armes et les multiples motos taxis se disputant un passager un peu argenté.
Mon repas arriva et je découvris que j’avais très faim, je saisis ma cuillère et je commençais à manger, sans plus m’occuper du monde autour de moi, et c’est pour cette raison que je ne remarquais pas l’homme qui s’approchait de moi.
Il était grand, environ la cinquantaine, vêtu d’un pantalon et chemise kaki, mal rasé, coiffé d’un chapeau sans forme. Il n’y avait absolument rien de particulier en cet individu si ce n’était qu’il avait l’air un peu ivre et qu’il avait un étui de revolver a la ceinture. Il s’approcha de ma table, se campa fermement sur ses deux jambes, et sans se presser et comme si la chose était la plus naturelle du monde, il ouvrit son étui a revolver et en sorti un petit automatique qu’il braqua tranquillement entre mes deux yeux. Occupé a mangé mon “ caldé de pollo”, je n’avais prêté aucune attention a son manège et je me dois d’avouer que c’est seulement lorsque je réalisais que son automatique était au milieu de mon front que finalement il retint toute mon attention.
Ma cuillère était pleine de soupe et à mi-chemin entre l’assiette et ma bouche, au contact du métal sur mon front, je me frigorifiais complètement, je ne bougeais absolument pas, je ne dis pas un mot, je ne fis pas le moindre geste, mon visage n’exprima ni peur ni surprise, ni quoi que ce soit. Mon cerveau était complètement bloqué et incapable de la moindre réaction, je crois qu’en l’espace d’une micro seconde je devins légume.
Une pensée réussit à traverser la nébuleuse qu’était devenu mon cerveau “ Ou est mon garde du corps, probablement à s’empiffrer quelque part à l’arrière du resto, aucune aide a espéré de ce côté, ne pas exciter le cinglé, ne pas bouger, attendre et voir ce qui va se passer, reste calme, “
Autour de nous les gens regardaient avec surprise et incrédulité, puis lentement sans faire de bruit ils s’éloignaient de la zone dangereuse. Une mère attrapait son enfant dans ses bras et partait en reculant comme hypnotisée par la scène, renversant une chaise sur son passage.
Et puis, d’un coup, tout près de moi, le monde se mit en mouvement, la pression du flingue sur mon front disparu, le grand gaillard sembla basculer, son crâne s’écrasa avec fracas sur le mur d’en face. Ses jambes ne semblèrent plus capable de porter son poids, et il se retrouva a mes pieds, son visage respirant la douleur, son bras tordu laissa tomber le petit automatique, et à cheval sur son dos, mon militaire que je croyais juste bon pour la parade hurlait le numéro de téléphone de sa caserne en réclamant d’urgence l’envoi d’une patrouille et d’une camionnette pour embarquer mon attaquant. Tous autour de nous on s’affolait, Félix se précipita sur le téléphone et tapa le numéro que criait mon militaire, les clients disparaissaient et le restaurant se vidait.
Je revins de l’au-delà, je revins a la vie, mais mon visage n’était toujours pas capable d’exprimer peur ou surprise. Mon cerveau recommença a fonctionné, les idées semblèrent de nouveau reprendre leurs places et je m’aperçus que j’étais encore comme un idiot avec ma cuillère de soupe entre l’assiette et ma bouche. Totalement incapable de penser a autre chose, je terminais mon mouvement et j’avalais cette cuillerée de soupe sous les yeux éberlués des quelques clients qui étaient encore là.
Et puis lentement, car bien sûr il n’y avait plus maintenant aucune raison de se précipité et probablement aussi parce que j’étais encore sous le choc et incapable de réagir avec promptitude, je me levais pour donner un coup de main a mon garde du corps et ficeler mon agresseur, qui fut tiré sans violence dans un coin du restaurant en attendant l’arrivée de la police militaire. Et puis, ne sachant quoi faire d’autre en attendant, incapable de raisonner ou de penser a quoi que ce soit, incapable de parler et de me mêler a la cohue de badauds qui commentaient la chose, je retournais m’asseoir a ma table afin de terminer ma soupe.
Dés le lendemain l’histoire avait fait le tour de la ville et était arrivée sur mon chantier, mes ouvriers ne parlaient que de cela. Toutefois, comme toute histoire allant de bouches a oreilles, la chose avait était énormément exagérée, et c’est ainsi que j’entendis dire que la vieille, alors que je prenais tranquillement mon repas “Chez Félix “ j’avais était attaqué par un grand escogriffe excité et violent et brandissant un énorme revolver qu’il m’avait braqué sur la tête. Il semblerait, si l’on en croyait l’histoire qui circulait, que j’étais resté maître de moi-même et d’un calme admirable, ignorant le danger et le grand escogriffe. Mes ouvriers me regardaient avec une certaine admiration et beaucoup plus de respect que quelques jours plus tôt.
Quelques jours plus tard, la police m’informa que mon attaquant était un riche propriétaire un peu excentrique, vivant sur les hauts plateaux autour de la ville. Il venait rarement en ville, ne savait même pas qui j’étais et avait apparemment un peu trop bu ce jour-là. Pour je ne sais quelle raison, il haïssait les Américains, mon surnom de « el gringo » ajouté a l’excès d’alcool avait suffi a le déstabilisé, mais il jurait n’avoir jamais voulu me faire de mal, mais seulement me faire peur. J’ignore complètement le sort que lui réservèrent l’armée et la police.
Okay ..... maintenant vous et moi connaissons bien toute l’histoire et la vérité,
et l’histoire semblerait dire que, peut-être il n’y avait pas trop de courage et de calme, mais au contraire une trouille féroce et paralysante, mais comme je l'ai déjà dit, “Si tu as le choix entre l’histoire et la légende, choisit la légende “ elle sera toujours plus intéressante, et franchement moi, la, j'aime mieux la legende"
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