La pampa, plaine immense et sans fin. Qui n’a pas entendu parler de ce paysage mythique de l'Argentine. Zone d'élevage et d'exploitation agricole, pays des haciendas et des fermes gigantesques, qui n'ont rien a envier au Texas ou au Mid-Ouest américain.
Une mer d’herbe, où paissent des milliers de têtes de bétail. Le pays des gauchos qui font encore partie du paysage et du folklore et qui entretiennent encore leur légende.
Et c’est là, que la destinées, et surtout mon employeur avait guidé mes pas pour un séjour très bref de quelques trois semaines, qui bien sûr se transforma en près de trois mois.
J’arrivais d'Équateur et de la forêt amazonienne, paysage évidemment complètement différent. J'avais atterri à Buenos Aires ou après quelques heures d'escale, j'avais pris un autre avion sur une ligne interne vers Comodoro, une ville et un port sur le bord de l’Atlantique, qui se souvenait encore de la guerre des Malouines.
De là un véhicule était venu me chercher et après de nombreux kilomètres en compagnie d’un chauffeur presque muet, à travers une nuit d’encre, j’étais arrivé dans un petit hôtel, dans une petite ville du nom de Sarmiento.
Fatigué par des heures de voyage, je m'endormis en me demandant une fois de plus ou j'étais tombé. Le lendemain, après un rapide petit déjeuner je rencontrais Camillo, que je venais remplacer et qui me fit faire une petite visite rapide de la mission.
Rien de bien spécial a dire sur cette passation de pouvoir, Camillo partait en vacances, je le remplaçais dans son poste de chef mécano sur une mission vibrateurs sans problème particulier. Il me présenta les membres de son équipe en me précisant les bons points et les mauvais points de tout un chacun. Puis ensemble nous jetèrent un rapide coup d'œil sur le stock de pièces détachées et les papiers, avant de partir sur le terrain voir le matériel.
En bref, la routine, si ce n’est que je découvrais un pays plat et monotone et sans le moindre relief.
“ Ici, tout est plat, tout est régulier, tout est sans surprise, tout est facile ” m’expliquait Camillo " tu n’as que deux problèmes. Le premier c’est les clôtures, quoique tu fasses, ne coupe jamais une clôture, n’oublie jamais de refermer une barrière, ici c’est une zone d’élevage, les clôtures c’est sacrés. Une barrière qui n’est pas refermée, une clôture qui n’est pas respectée, cela signifie que le bétail de différents propriétaires risque de se mélanger et donc ce sera des heures et des heures de travail pour le trier plus tard. Alors n’oublie jamais, la clôture c’est absolument tout. Ton deuxième problème c’est le lac, parce que bien sûr, tout aurait était trop facile, mais il y avait le lac, la, juste en plein milieu de nos lignes. Un lac immense et sans limites, un lac qui n’était même pas un vrai lac, mais plus tôt une flaque énorme, qui s'amassait dans un point un peu plus bas que le reste de la plaine. Le niveau changeait sans arrêt en fonction du temps, un jour à peine un mètre de profondeur et le lendemain trois fois plus. Un lac qui était entouré par des milliers d’hectares de vase, de marécages, de terrain sableux plus ou moins sec et plus ou moins humide .... bref un lac qui n’était là que pour nous emmerder.
Et il faut le dire, il nous emmerdait bien, puisqu’à ma connaissance c’est le seul lac au monde qui arrive même à bouger et à changer de place. Nous étions en Patagonie, l’empire du vent, soufflant le plus souvent du sud et du cap Horn. Un vent glacé et impitoyable qui souffle parfois pendant des heures, des jours ou même des semaines non-stop et les eaux du lac poussées par ce vent constant arrivent a se déplacer comme sous l’effet d’une marée. Le lac qui était ici aujourd’hui se trouve a plusieurs centaines de mètres demain et risque de revenir rapidement lorsque le vent cessera. Et bien sûr, en fonction du mouvement de cette masse d’eau, tout autour de ce lac en mouvement, il est absolument impossible de savoir où et quand le terrain sera solide ou complètement vaseux.
Bref, quoi qu’il en soit, à part ce lac qui nous embêtait bien, la mission était un de ces boulots on ne peut plus simple et classique. L’équipe travaillait depuis plusieurs mois, chacun connaissait son travail, notre personnel était de confiance et expérimenté. Le seul truc a ne pas oublier était l’absolue nécessité d’aller vérifier chaque ligne a l’avance, afin d’éviter de se retrouver dans un passage boueux et impassable, ou même le nez dans le lac. Donc chaque jour, après m’être assuré que mes machines étaient opérationnelles et compléteraient la production journalière, après avoir distribué les taches et constaté que tout était okay au garage, après avoir pris soin des commandes journalières, après avoir réglé la multitude de petits détails avec le chef de mission, les topos ou autres, je montais dans mon véhicule et j'allais personnellement m’assurer de l’état du terrain.
C’était là, je dois l’avouer la partie de mon boulot qui me plaisait le plus, je partais seul, dans la Pampa, avec une solide camionnette, pour plusieurs heures, n’ayant rien d’autre a faire que d’examiner le terrain, que de respirer l’air pur, que d’admirer le paysage, qui bien qu’un peu monotone n’en était pas moins fantastique.
Ces petits voyages, à travers la Pampa réservait parfois des surprises, ainsi par un bel après-midi, m’étant totalement égaré, je me retrouvais sur un chemin que je suivis pour de nombreux kilomètres dans l’espoir de rencontrer quelqu’un qui pourrait me remettre dans la bonne direction. Finalement j’arrivais dans un ranch perdu au bout du monde, d’un aspect peu accueillant, de nombreux corrals, des clôtures de barbelés hautes et solides ( il ne manquait que le mirador) et un panneau près d’une barrière gigantesque qui m’informa que j’étais a l’hacienda Von Kruger et que l’entrée en était strictement interdite sous peine de se faire tirer dessus. Je fis demi-tour sans demander ma route, il est des noms et des avertissements qui ont encore tendance à rendre les voyageurs prudents.
Je me souviens aussi bien sûr d’un autre après-midi qui me marqua beaucoup, de ma rencontre avec " El toro " qui reste encore dans ma mémoire comme un des jours les plus excitants de ma vie.
Cette journée avait commençait comme tant d’autres, j’avais passé près de deux ou trois heures avec le chef de mission a essayer de niveler un conflit de salaire entre mes chauffeurs qui bien sûr voulaient plus et un chef qui refusait de les augmenter. Cette conversation avait duré beaucoup plus que prévue et j’avais pris du retard. Je décidais de ne manger qu’un sandwich et je sautais dans ma camionnette afin d’aller reconnaître une ligne qui risquait de nous causer des problèmes vus qu’elle passait très près de ce lac vagabond.
Si la matinée avait été ardue, l’après-midi se présentait assez bien, le temps était plutôt beau, le ciel plutôt bleu et le fameux vent de la Patagonie avait décidé exceptionnellement de se calmer et n’était plus qu’une petite brise agréable. Je conduisais une de ces grosses camionnettes américaines que nous appelions comme les ricains du nom de " pick up ", une Ford F 150, quatre roues motrices bien sûr et un énorme moteur de huit cylindres en V qui développait dix fois plus de chevaux que je n'en avais besoin. Elle était en très bon état, solide et confortable, et pouvait passer à peu près n’ importe où. Je pris la direction du lac que je contournais patiemment pour la millième fois et je me retrouvais sur le chemin fléché par les topos en plein milieu de cette fameuse pampa qui étalait ses milliers d’hectares de plaine devant moi. L’herbe haute semblait brillait au soleil et ondulait dans la brise.
Je m’arrêtais afin d’ouvrir une barrière au milieu d’une clôture sans limites, je pris le temps avant de repartir d’allumer une cigarette, de respirer la pampa et le vent et d’admirer cette plaine immense, puis calmement sans me presser je repartis examinant le sol. Un troupeau de plusieurs centaines de bovins broutait dans cette immense prairie, les vaches et les veaux relevaient la tête et me regardaient passer, puis se remettaient a paître sans s’occuper de moi, je continuais mon chemin jusqu’au moment ou mon attention fut attiré par une zone beaucoup plus verte que la prairie alentour.
Je décidais de m’arrêter et d’aller examiner ce point vert qui probablement cachait un terrain humide et marécageux. J’arrêtais ma camionnette a quelque vingt mètres de la zone et m’en approchais a pied, la zone était de taille plutôt réduite et ne présentait pas un problème réel, elle serait facile a contourné. Je restais quelques secondes a regarder un héron s’envoler et je m’apprêtais a retourné vers mon véhicule lorsque mon attention fut attiré par le son régulier d’un trot. Je regardais dans la direction du bruit et je vis un énorme taureau trottant tranquillement dans ma direction. Je ne m’en inquiétais aucunement et je le regardais venir, il s’arrêta a une quarantaine de mètres et m’observa.
Je l’observais également pour un moment, puis je me mis en marche vers ma camionnette tout en continuant de le regarder. D’un coup, son attitude qui semblait tout d’abord curieuse et amicale, sembla changer et en l’espace d’une seconde devint franchement hostile, ses yeux brillaient étrangement, la tête baissée, il soufflait bruyamment et ses sabots avants grattaient la terre, jetant de la poussière sur ses flancs.
Je compris très vite qu’il y avait danger, ce taureau n’était pas là pour faire la conversation, mais pour affronter un ennemi sur son territoire. J’étais a vingt mètres de ma bagnole et a une quarantaine de mètres du monstre, j’essayais de me rappeler tout ce que je savais sur les taureaux et comment les affronter, la peur commençait a m’entrer sous la peau, cette bête était énorme et je n’avais aucune chance contre elle. Sans réfléchir, pris de panique, je poussais un hurlement venu du fond de mes poumons et je me mis a courir vers la camionnette. Le cri sembla le surprendre et le laissa sans réaction pour une seconde ou deux, ce qui me donna un peu d’avance, puis il se réveilla et fonça dans ma direction, je courrais aussi vite que je n’avais jamais couru. Sachant que je n’aurais pas le temps d’ouvrir la portière avant qu’il ne m’atteigne, j’oubliais la cabine du véhicule, mon pied se posa sur le large pare choc arrière, je sautais comme un cabri et je me retrouvais dans la benne, je me précipitais vers l’avant, essayant de me tenir le plus loin possible de lui et m’attendant a un choc s’il décidait de foncer dans le véhicule.
Réalisant que j’étais hors d’atteinte, il s’était arrêté à quelques mètres, la tête baissée, les yeux brillants, il me regardait toujours et maintenant il semblait être franchement en colère. J’avais l’impression que, comme dans les bandes dessinées, de la fumée sortait de ses naseaux. L’espace d’un instant, je me félicitais de moi-même, de mon cri, de ma réaction, de ma décision de courir et de me réfugier a l’arrière du pick-up. J’étais persuadé que très vite il allait se fatiguer de me regarder et qu’il s’en irait vers d’autres pâtures et que donc je pourrais descendre de la camionnette, remonter dans la cabine et rentrer a la maison tranquillement.
Malheureusement, ceci ne semblait pas être dans les plans de mon agresseur, il se mit a tourner autour du véhicule, soufflant comme une chaudière, s’arrêtant de temps en temps, grattant le sol et s’envoyant des tonnes de poussière sur le dos, puis il repartait de nouveau, faisait un tour ou deux de plus et s’arrêtait l'œil fixé dans ma direction. Soudain, il s’éloigna de la camionnette, je commençais déjà a respirer plus librement lorsque je le vis faire demi-tour et charger comme un bulldozer. Je l’avais vu venir et je me cramponnais comme un malade a la barre de protection de la cabine, le choc fut terrible, le coté de la voiture pris une forme étrange. J’eus une pensée pour le carrossier de l’équipe qui allait gueuler comme un âne et une autre pensée pour l’ingénieur américain qui nous avait dessiné ce pick-up en espérant qu’il avait fait du boulot solide. Le taureau sembla un peu abasourdi par la résistance du métal, il repartit en arrière, refit un tour au deux et fonça de nouveau vers le véhicule, cette fois de l’autre côté, le look de mon véhicule ne s’améliorait pas du tout.
Maintenant je commençais tout de même a m’inquiéter sérieusement, cette bête était énorme et semblait bien décider a me démolir. J’avais confiance dans la solidité du pick-up, mais tout de même, il me secouait comme un prunier et je ne pouvais tout simplement pas me permettre d’attendre en espérant qu’il se calme, il me fallait faire quelque chose. Pour le moment, il était du côté chauffeur, attendant on ne sait quoi, me regardant vicieusement, j’envisageais de sauter de l’autre côté, de me précipiter, d’ouvrir la portière, de me glisser au volant et de démarrer en flèche. J’étais prêt à sauter et à tenter ma chance lorsqu’une pensée me traversa l’esprit
“ la porte du côté passager est-elle fermée a clé, est-ce que je l’ais ouverte avant de partir” , j’étais seul et il était possible que je ne me sois pas inquiété de ce petit détail, et en ce moment j’étais totalement incapable de me souvenir si je l’avais débloqué ou non. Si elle était fermée a clé, j’allais me trouvais bloqué face a cette stupide portière et mon taureau furieux aurait peut-être le temps de faire le tour du véhicule et de me coincer, il était hors de question de tenter cette chance.
Je regardais dans la caisse du pick-up, elle était complètement vide, à part une pelle que j’emmenais toujours avec moi, au cas où je m’enterrerais dans la boue. Le taureau était toujours là, du côté chauffeur, semblant réfléchir avant de se lancer une nouvelle fois contre moi. Je saisis la pelle, je hurlais et je cognais comme un dingue sur le bord de la camionnette, puis sur l’arrière, il suivait des yeux mes mouvements et les mouvements de mon outil, puis je jetais la pelle aussi loin que possible de l’autre côté du véhicule. Mon truc sembla marcher, la tonne de viande en colère sembla m’oublier pour un instant et se précipita vers le bruit et le choc de la pelle heurtant le sol. J’avais quelques secondes devant moi, je sautais a terre du côté chauffeur, j’arrachais presque la poignée de la portière dans ma précipitation a ouvrir, je me glissais derrière le volant, je claquais la portière violemment. Je perdis une milliseconde a regarder mon taureau qui se jouait de la pelle et la projetait en l’air a coup de cornes, puis ma main trouva la clé, je la tournée, le moteur démarra au quart de tour, je me promis de payer une bière a Gonzalo qui nous réglait tous les moteurs. Mon pied gauche enfonçait l’embrayage, ma main droite enclenchait la première, mon pied gauche se relevait et mon pied droit écrasait l’accélérateur, les roues arrières patinèrent pendant plusieurs secondes avant de finalement accrocher le sol, la camionnette démarra comme une bombe.
À quelques 15 mètres, le taureau attiré par le bruit du moteur avait délaissé la pelle, il regardait dans ma direction et en l’espace d’un instant retrouva toute sa hargne et sans hésiter fonça vers moi. Je prenais déjà de la vitesse, j’avais l'œil rivé sur le rétro et je voyais le monstre qui me poursuivait, il m’avait presque rattrapé, mais perdait maintenant du terrain, un mètre derrière, puis trois, puis cinq et maintenant presque dix, j’étais sauvé.
Pourtant l’énorme bête n’arrêtait pas et continuait de me poursuivre avec furie, j’aurais bien sur dus enfoncer l’accélérateur, m’éloignait tranquillement et le laisser s’épuiser. Mais, mus par je ne sais quoi de sauvage, d’inconscient, de cruel ou de folie, avant même de réaliser ce que je faisais, j’enfonçais à la fois l’embrayage et le frein, la voiture zigzagua un instant, puis la encore les pneus accrochèrent et presque instantanément le véhicule s’arrêta. Sous l’effet de l’arrêt brutal, je me trouvais projeté contre le volant, le taureau arrivait à pleine vitesse, tête baissée et fou furieux, son crâne s’écrasa dans le pare choc arrière, le choc fut des plus impressionnants et sembla propulsait le pick-up vers l’avant me plaquant contre le dossier du siège et laissant la pauvre bête a moitié KO.
Mon pied lâcha le frein, j’embrayais de nouveau et je repartis tranquillement, l'œil toujours rivé sur le rétro regardant le taureau immobile au milieu de la plaine, les pattes écartées, semblant prêts à s’écrouler.
Je pris de la vitesse me dirigeant vers la barrière qui me permettrait de sortir du champ, j’eus une pensée amicale pour le taureau, l’espace d’un instant j’eus un peu honte de l’avoir traité si brutalement, après tout le pare choc arrière du pick-up était vraiment, vraiment très épais, puis heureux de vivre, j’éclatais de rire.
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