samedi 21 septembre 2024

25 Le pays du soleil levant

                         Le pays du soleil levant  

     Après ces séjours sous le ciel de l'Alaska et les Montagnes Rocheuses, j'aurais bien sûr aimé un petit séjour dans un coin ensoleillé, j'avais plus que marre du froid et des neiges, et je rêvais d'un petit coin de ciel bleu.
     Mais il était dit que cela ne serait pas, après quelques semaines de vacances je fus transféré en France, dans la région de Soissons, ou ma compagnie faisait des études du sous-sol, afin d'étudier la possibilité de déposer en profondeur des déchets nucléaires. Inutile de préciser que nous n'étions pas exactement les bienvenus dans la région et durant de nombreuses semaines, nous affrontèrent une multitude de manifestants, essayant de nous empêcher d'accomplir notre travail et n’hésitant pas à saboter nos machines pour nous ralentirent.
     Par chance, quelqu'un avait décroché un contrat pour le gouvernement chinois, dans le désert du Xingiang, une zone presque aussi froide que l'Alaska. Le contrat devait commencer en octobre et je faisais partie des premiers à partir au pays des petits hommes jaunes, je pus donc quitter en urgence la zone de Soissons et ses manifestants, avec qui finalement j'avais un peu tendance à sympathiser.
     J'étais, je dois l'avouer, très heureux de ce transfert qui me sortait de cette zone de Soissons pluvieuse, froide et boueuse. De plus, la Chine était un pays qui m'avait toujours attiré, la chine ancienne tout d'abord, avec son grand mur, ses montagnes, ses soies, les palais de ses empereurs et les multiples légendes qui enjolivaient son histoire. Et aussi la chine nouvelle, avec son régime communiste qui en avait fermé les portes pour de nombreuses années. J'étais curieux de voir ce grand pays et oui, j'ose l'avouer j'étais pressé de partir, sachant a l'avance que travaillant là-bas pour de longs mois, j'aurais la possibilité de voir et découvrir beaucoup plus que le touriste suivant le guide affecté a son service par le gouvernement.
     Et si, tout ce que je vis ne fut pas exactement comme je m'y attendais, si je fus déçu par certain coté du caractère chinois et sa manière de vivre, je garde tout de même d'excellents souvenirs de ce séjour et de la gentillesse de ce peuple, qui essaye encore de comprendre un système politique qui transforma le pays peut être un peu trop vite et qui maintenant semble évoluer dans une autre direction, là encore peut être un peu trop vite.
     J'eus un peu l'occasion de me balader à Pékin et dans d'autres régions qui sont la vraie Chine, mais je passais la plus grande partie de mon temps au Xinjiang, au Nord-ouest du pays. Anciennement connu sous le nom de Turkestan oriental, le pays fut plus ou moins annexé à de multiples reprises au cours de son histoire par le gouvernement chinois et fait maintenant partie intégrante de la " République Populaire de Chine " même si la région a encore le droit au titre de " région autonome.
     La région est encore peuplée en majorité par les wigours, mais aussi par les kazacs et quelques autres minorités, parlant une langue ayant plus de rapport avec le Turque que le chinois. Ils essayent de garder leurs religions, leurs traditions et leur manière de vivre, malgrés une importante pression de la part du gouvernement central qui y pratique une émigration en masse, dans le but de voir s'installer le plus possible de chinois, surtout dans les villes.
     Suite a mes multiples séjours dans les pays anglophones, je parlais un anglais tres correct, ce qui me valut le privilège d’être muté directement a l’agence principale de la compagnie dans la ville de Urumchi. La simple raison étant, qu’il était beaucoup plus facile de trouver des interprètes chinois - anglais que des interprètes chinois - français. Je me retrouvais donc promu en charge d’un immense magasin, fournissant les pièces détachées a trois équipes sismiques perdues dans le désert du Xinjiang. En charge de tenir mes stocks et de recommander en France, ou aux Etats-Unis les pièces que je consommais. De plus avec l’aide de deux interprètes et d’un acheteur chinois, j'étais en charge de me procurer sur place tout ce qui pouvez être acheté ou échangé. Àu debut de mon sejour, je n'étais pas trop intéressé par ce boulot de bureaucrate en ville, je préférais aller sur le terrain et me bagarrer avec les éléments, mais je n'avais pas le choix et je m'adaptais assez vite à ce nouveau style de vie et très rapidement je me sentis confortable et j'y pris goût, après tout il y a quelques avantages à la vie de fonctionnaires.
     Je travaillais en permanence avec deux interprètes, l'un connu sous le nom de Tchang, était aussi chinois que l'on peut l'être. L'autre, que nous appelions "John”, car il avait un nom imprononçable pour le commun des mortels était d'une origine mélangée, un peu chinoise , un peu wigour et un peu Kazac, avec probablement quelques touches de deux ou trois autres ethnies pour la bonne mesure. Tous deux parlaient un anglais très correct et au fil des jours se tissa entre nous une amitié qui n'avait rien a voir avec le travail.
     Ainsi, certains soirs, "John" m'entraînait vers le marché wigour, ou nous pouvions déguster pour presque rien, un nombre impressionnant de brochettes faites de minuscules morceaux de viande de mouton grillée à la perfection et pimentée juste suffisamment pour nous donner une soif qui nous donnait une bonne excuse pour consommer des litres de bière. Il m'invita même a passer quelques jours dans le village de ses grands-parents Kazacs, le bas dans la steppe. Je rêvais de ce voyage a l'autre bout du monde et du temps, au cœur des prairies immenses et des montagnes oubliées, au milieu d'un monde vivant encore comme au temps de Gengis Khan. Malheureusement je ne pus jamais obtenir mon permis de voyage, l'administration chinoise me refusa le droit de partir, pour ma sécurité ... bien sûr ...
     Parfois, lorsque le travail était terminé et que nous avions un peu de temps, "John" se laissait aller a parler de sa jeunesse, la bas dans le village de la steppe, il adorait raconter les histoires de chevaux, on sentait que toute son enfance avait tourné autour de cet animal et qu'il regrettait de s'en être éloigné.
     J'entendis peut-être une vingtaine de fois son souvenir favori ... il parlait de tout et de rien ... puis d'un coup il repartait vers le passé … vers son adolescence ... là-bas dans la steppe sans fin ... le jour de la fête au village ... la fantastique course de chevaux entre garçons et filles de 16 ou 17 ans. La fille sur son poney avait droit a un peu d'avance, puis le garçon s'élançait a sa poursuite et avait droit a un baiser s'il réussissait a la rattraper. Bien sûr, tout un chacun savait que les filles étaient aussi bonnes cavalières que les garçons et compte tenu de l'avance qu'elle avait, aucun garçon n'aurait pu la rattraper à moins qu'elle ne le veuille .... et si j'en crois les souvenirs de John, il avait en son temps gagné une multitude de baisers.
     Une fois, une seule, un soir de cafard peut être, il parla des dix années perdues en camp de rééducation à cause d'un document mal traduit, qui avait causé un incident diplomatique entre la chine et le Japon. Il regretta longtemps de s'être laissé aller ce soir-là et d'avoir raconté a l'étranger que j'étais ce qui devait rester le secret du peuple chinois et il ne recommença a sourire que lorsqu'il fut convaincu, sans le moindre doute que j’avais oublié cette histoire, suite a trop de bière . 
     Tchang de son côté était beaucoup plus réservé et à ce jour je ne sais vraiment pas grand-chose de sa vie. Il aimait à parler de son pays et de son peuple, il était fier d'être chinois, mais parlait toujours de chose en général, jamais à un niveau personnel. Il aimait à parler des traditions et de la manière de vivre du peuple chinois, et c'est a lui que je dois d'avoir appris la légende du message dans les petits gâteaux. Il y a quelques centaines d'années, les mongols avaient envahi une partie du  territoire de la chine. Afin de jeter  l'ennemi hors du pays, l'empereur décida de demander l'aide de tout son peuple. En fonction de quoi, il fit distribuer en une nuit, a chaque habitant du pays un petit gâteau contenant un message, demandant a chacun de se tenir prêt a combattre l'envahisseur aux premières lueurs de l'aube. Tout un chacun étant prêt, la défaite des Mongols fut complète, et depuis ce jour-là, à la fin de chaque repas chaque convive reçoit un petit gâteau contenant un petit papier avec un message de bonne chance ou de bonheur.
     C'est à Tchang aussi que je dois d'avoir compris le sens " du bol de riz à la fin du repas''. Les Chinois, même aujourd’hui aiment à donner de somptueux repas, servant traditionnellement 6 ou 12 ou même parfois 24 plats différents. À la fin de ce repas pantagruélique, il sera toujours servi aux convives un bol de riz blanc, et l'Européen ignorant des coutumes chinoises se sentira obligé de consommer au moins un peu de ce riz afin de ne pas insulter son hôte. Tchang m'apprit qu’au contraire il ne faut jamais toucher a ce riz, consommer même une seule bouchée est l'insulte absolue, puisque du point de vue chinois, par cette action le convive envoie à l'hôte le message que son repas ne valait rien et que le convive repart avec la faim. 
     C'est Tchang aussi, qui par un beau jour de novembre essaya désespérément de m'entraîner loin de ce petit village dont j'ai oublié le non. Sans succès d'ailleurs, j'étais trop curieux et je tenais absolument à voir ce qui avait attiré cette foule immense dans ce coin perdu. Je découvris finalement le but de leur curiosité et je compris un peu trop tard pourquoi Tchang se sentait aussi gêné, mon entêtement nous avait entraîné sur le site d'une exécution capitale " à la chinoise ", c’est-à-dire, tout simplement ‘’une balle dans la nuque’’
     La plus grande partie de mon travail était de gérer le magasin, de tenir mes stocks et de recommander ce qui était nécessaire et de contrôler les achats locaux, mais j’avais en plus une fonction de “public relation “ avec les clients chinois qui m’obligeait a maintenir le contact et la bonne entente avec quelques hommes clef de la “ Petroleum Corporation of the People Republic of China “ ou PCPRC. Cela sous-entendait parfois d’interminables conversations pour régler quelques minis problèmes insignifiants, quelques meetings ou tout le monde faisait semblant d’écouter tout le monde et aussi parfois a me rendre et participer a de nombreux banquets offerts par le client ou parfois par mon employeur. Contrairement a ce que l'on pourrait penser ces banquets n'étaient pas toujours aussi amusants que l'on croit. Les Chinois prenaient ces banquets très sérieusement, c'était là leur seule chance de vivre un peu hors de l'ordinaire, il y avait tout un cérémonial a suivre. La tradition voulait que de nombreux toasts soient portés, que de nombreux verres soient bus et si la nourriture était la plupart du temps excellente il était presque impossible de quitter ces banquets sans être à demi ivre. Une des boissons favorites des Chinois étant le " Maotai ", un alcool très fort à base de sorgho, considéré comme un des meilleurs alcools locaux, " dégueulasse a boire et encore plus dégueulasse a dégueuler le lendemain matin ". Par chance, j'avais des années d'expérience derrière moi et je parvenais a très bien jouer mon rôle, buvant juste assez pour faire bonne figure et pas trop pour ne pas me couvrir de ridicule, quelque part le long de la ligne j'héritais même du surnom de LAOTOIS, ce qui en chinois veut dire  CHAMEAU.
     Une autre partie de mon travail consistait à me rendre sur le terrain et à visiter les équipes travaillant dans le désert, afin de garder le contact et de maintenir les bonnes relations entre nos deux peuples. Ceci était la partie du travail que je préférais, nous partions au petit matin en Toyota tout terrain, souvent chargé lourdement de matériel et de pièces, traversant de multiples villages ou petites villes, observant les gens dans leur vie de tous les jours, découvrant une manière de vivre extrêmement différente de la nôtre dans ces campagnes, qui était resté encore quelques cinquante ans en arrière et ou le char a bœuf et le cheval était encore partie intégrante de la vie. Parfois nous nous arrêtions pour un repas rapide dans quelques restaurants de village ou j'eus la surprise d'observer la position un peu particulière des clients. Toujours assis très loin de la table, ceci leurs permettant tout simplement de cracher les os ou autre déchet non comestible de leur repas entre leurs jambes, ou ces déchets étaient immédiatement récupéré par le chien du restaurant, peut-être pas très hygiénique, mais bougrement efficace.
     C'est là que je rencontrais un chauffeur de camion surnommé "Deux neurones" car il était un peu ou même très stupide et ne devait son emploi de chauffeur qu'au fait qu'il était le neveu de quelque gros bonnet de PCPRC. Afin de lui éviter la chance de faire des erreurs et afin de lui simplifier la vie, on lui avait confié la conduite d'un camion-citerne assurant le ravitaillement en eau d'un de nos camps. Il n'avait donc pas à réfléchir, il lui suffisait de remplir et vider sa citerne toujours aux mêmes endroits et cela deux ou trois fois par jour. Une nuit il gara son camion et s'en fut dormir du sommeil du juste, ce n'est qu'au petit matin, au moment de vider la citerne dans les réservoirs du camp, qu'il s'aperçut qu’il avait perdu ladite citerne et qu'il ne lui restait que la cabine et le châssis du camion. Il jura que lorsqu’il avait garé son camion la nuit dernière, la citerne était bien sûr le châssis et il accusait le monde de lui avoir volé, refusant d’admettre qu'il est pu conduire sans s'apercevoir qu'il avait perdu 25 tonnes d’eau et de ferraille. Même après que la citerne fut retrouvée a quelque dix kilomètres du camp, il jurait encore contre les voleurs.    
     Dans chacune de ces équipes un noyau de personnel français ou européen encadrait le personnel chinois, l'un d'entre eux Bill, un mécanicien anglais vivait depuis des années en Extrême-Orient et pourtant haïssais tout ce qui était asiatique. Il racontait que "Deux neurones" étaient le plus intelligent, puisqu'il avait deux neurones alors que les autres n'en avaient qu'une.
     "Ils ne connaissent que les ânes et les bœufs et on leur confit des bahuts de 50 bâtons''  répétait-il sans cesse, lorsqu’il voyait arrivé au garage un véhicule ayant souffert de l'incapacité de son chauffeur.
     Il adorait raconter comment, un jour il s'était rendu sur le terrain pour faire une vidange sur un bulldozer, il avait trouvé le bulldozer arrêté et le chauffeur dormant bien tranquillement sur son siège, il avait fait la vidange, changé les filtres, vérifié tout ce qui devait être vérifié et était reparti sans que le chauffeur ne se réveille.
     Pourtant comme nous le savons tous, le chinois est loin d'être stupide ou fainéant, je vis de nombreuses personnes accomplir des miracles lorsque le besoin s'en faisait sentir, capable de résoudre des problèmes insolubles avec presque rien. Mais le régime n'encourageait pas l'effort et beaucoup d'entre eux préféraient se laissé aller plutôt que de se bagarrer sans espoir d'améliorer leur sort.
     Je pourrais parler pendant des heures et même peut-être des jours au sujet de ce pays très attachant. J'y passais près de deux ans, travaillant, discutant, découvrant, apprenant, et s’il est vrai que rien d'exceptionnel ne s'y passa jamais, chaque jour était une expérience intéressante et je garde de ce séjour un souvenir très agréable et l'envie d'y retourner. 

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