mercredi 21 mai 2025

17 La nuit du vaudoo

                      La nuit du Waudoo

     Les années avaient passées bien trop vites, j’avais trainé à travers l’Australie, allant de chantier en chantier, de mine en mine, rencontrant beaucoup de monde et me faisant beaucoup d’amis. J’avais bourlingué à travers le Moyen-Orient et les Indes, écouté mille légendes et visité une multitude de coins plus ou moins intéressants.
     J’avais maintenant la trentaine bien tassée, j’étais rentré en France quelque mois plus tôt et je travaillais dans une boite de travaux publics du sud-ouest. La boite n’était pas trop désagréable, mais je dois dire que je m’ennuyais un peu, je manquais d’espace et de soleil
     Quelques dix ans plus tôt, j’avais fait mon service militaire dans l’armée de l’air à la Martinique, je gardais de cette période de ma vie un excellent souvenir, j’avais gardé le contact avec deux ou trois vieux copains vivant encore là-bas. J’avais un peu d’argent devant moi et le célibataire que j’étais avait bien sûr toujours du temps a gaspiller, c’est donc ainsi que par un matin vraiment pluvieux, froid et désagréable, je décidais qu’il était temps de retourner vers le soleil et la mer bleue. Sans trop prendre le temps de réfléchir, je quittais mon emploi et quelques jours plus tard j’étais dans un avion direction Fort-de-France ….. Et j’étais loin, bien loin de me douter de ce qui m’attendait sous le soleil des Antilles.
     Dès mon atterrissage, je contactais Philippe. Comme moi, Philippe avait fait son service a la Martinique et nous avions travaillés côte à côte comme chauffeur du détachement air 375 pendant près d’un an. Philippe avait développé un amour irraisonné pour l’île, son service militaire terminé il avait refusé de rentré chez lui et de retrouver la grisaille du nord de la France et avait décidé de simplement s’installait la-bas. Il vivotait depuis une dizaine d’années, gagnant un peu d’argent de ci de là, travaillant comme homme a tout faire, comme matelot sur des bateaux de plaisance, péchant ou jouant les guides touristiques, mais profitant du soleil et de la mer au maximum. Il vivait à la bohème dans une maisonnette minuscule près de la mer, mais sa maison était toujours ouverte à qui voulait bien venir et n’était pas trop exigeant au sujet du confort.
     Il m’accueillit avec chaleur, ouvrit une bouteille de rhum, fit griller deux ou trois langoustes pêchées le jour même, me montra où accrocher mon hamac et décida que dès le lendemain nous allions aller passer le week-end aux anses d'Arlet comme au bon vieux temps, lorsque nous faisions notre service et que nous allions camper pour le week-end sur la plage         
     Les anses d’Arlet sont depuis très longtemps le but favori des habitants de Fort-de-France cherchant une grande et jolie plage pour passer le samedi et le dimanche au bord de la mer. J’ai bien peur que de nos jours, entre les ” Weekenders “ de Fort-de-France, les amateurs de voile et les très nombreux touristes, les anses d’Arlet soient devenues plutôt encombrées. Mais, il y a de cela plus de trente ans, les anses d’Arlet étaient juste un petit village de pêcheurs. Dans la journée sur la plage, une ou deux paillotes très rustiques offraient boissons presque fraîches et quelques gâteries à grignoter, mais c'était absolument tout. La plage immense de la grande anse était la plupart du temps semi-désertique, tout un chacun était libre de s’installer, de nager, de plonger et de pêcher et même de camper et cuire son poisson sur un feu de camp. Bien sûr le weekend voyait arriver par la navette du matin, en provenance de Fort-de-France, quelques familles de baigneurs avec leur panier pique-nique, la plupart passaient la journée sur la plage, et s’en retournés a Fort-de-France par la navette du soir, et le village redevenait un tout petit village de pêcheurs, perdu au bord de la mer, calme, endormi et oublié du monde. 
     Comme pratiquement chaque matin en Martinique, ce samedi matin était très beau, le ciel bleu et sans un nuage, la mer verte à perte de vue, nous fîmes l’achat d'un ticket et nous embarquèrent sur la vielle barcasse servant de navette entre Fort-de-France et les anses d’Arlets. Nos bagages étaient bien sûr très légers, pour chacun d’entre nous, palmes, masque, tuba et un pistolet de chasse sous-marine, une couverture, une serviette de bain, une brosse a dent, deux ou trois boites de conserve et c’était a peu près tout ce que nous avions besoin pour deux jours sur la plage.
     La journée se passa très bien, bronzette puis une paire d’heures de plongée avec l’espoir d’attraper le repas du soir, puis de nouveau bronzette et une petite balade sur la plage dans l'espoir d’admirer une jolie fille en bikini. Tout doucement la soirée approchait, Philippe avait eu de la chance et avait réussi a harponner une très jolie pièce qui suffirait a notre repas du soir. Nous ne savions pas exactement comment se nommait le poisson, mais qu’importe il avait l’air extrêmement comestible et c’est le seul truc qui nous importait. Nous firent l’acquisition d'une bouteille de rhum, d’un peu de pain, d’un paquet de cigarettes, d’une boite d’allumettes et nous nous éloignèrent le plus loin possible du village. Suivant la côte et nous glissant entre les rochers nous découvrir une minuscule plage qui devint notre camp pour la nuit. Un bien grand mot, bien sûr, pour ce qui n’était qu’un feu de bois, deux couvertures dépliées au milieu d’un petit bosquet de palmiers non loin de la mer, deux serviettes de bain mises as sécher sur une branche et un gros poisson cuisant sur une broche improvisée avec trois branches de bois vert.
     Pendant que notre festin cuisait, nous firent honneur a la bouteille de rhum, puis nous dégustèrent notre poisson avec les doigts, complétant notre repas avec une boite d’abricot au jus, rinçant la boite d'abricot avec de solides gorgées de rhum. Nous allumèrent nos cigarettes et terminèrent ainsi la soirée, fumant, et buvant et se rappelant le temps ou tous les deux nous jouions au petit soldat, discutant de mille et une chose plus ou moins sans importance.
     Quelque part vers 10 heures du soir, Philippe, fatigué par le soleil, le vent, la plongée, le repas et le rhum s'étendit sur sa couverture et en quelques secondes sombra dans un profond sommeil. Ne me sentant pas du tout prêt à dormir et désireux de profiter au maximum de cette nuit sous les tropiques, je saisis la bouteille de rhum, le paquet de cigarettes et les allumettes et m’appuyant le dos à un palmier, je décidais de m’occuper sérieusement de ce rhum. Combien de temps je restais, le dos aux palmiers, sirotant le rhum et fumant cigarette après cigarette, je ne saurais le dire, je ne me souviens même plus à quel moment je m’endormis dans cette position et combien de temps je dormis. Ce dont je me souviens c’est que je fus reveillé par un bruit bizarre, mon attention fut attirée par des mouvements sur la plage, là-bas près de la mer. Le feu était complètement éteint, la nuit était fraîche et je frissonnais sous ma chemise légère, je tenais toujours la bouteille a la main et un mégot froid entre mes doigts. J'avais un goût désagréable dans la bouche, je consultais ma montre et réussit a lire une heure dix, qu’est-ce qui pouvait bien ce passait a une heure du matin sur cette plage minuscule.
     Je posais la bouteille contre un pied de palmier, je me couchais derrière un vieux tronc à demi enterré dans le sable et observais curieusement la plage. Là-bas, sous la lueur blafarde de la pleine lune, deux gommiers, voiles repliées venait de toucher terre, une bonne douzaine de passagers noirs ou métissés descendaient sur la plage de sable fin, et unissant leurs efforts tiraient les lourdes embarcations sur le sable. Ils étaient tous vêtus de la manière banale des pêcheurs de l'île, pantalon retroussé et chemise de toile pour les hommes et robe de coton pour les femmes, tous semblaient être pieds nus. Un seul d’entre eux était différent, un homme aux cheveux très longs, vêtu d’une immense robe blanche, flottant dans le vent de la nuit, lui donnant une allure irréelle. Ma première impression fut que j’avais à faire à une bande de fêtards en goguette désireux de célébrer la nuit d'une manière inhabituelle, je m'attendais à voir apparaître des bouteilles d’alcool, un ou deux instruments de musique, et qui sait peut être les voir se mettre à danser sur la plage ou je ne sais quoi d’autre.
     Quoi qu’il en soit, je me dois de dire que j’étais tout de même un peu inquiet et qu’avant de me montrer je préférais attendre et voir ce qui aller se passer. Ils étaient étrangement calmes pour des fêtards en goguette, les instruments de musique n’apparaissaient pas et pas un seul d’entre eux ne me semblait être en état d’ébriété. Il était tout de même une heure du matin et nous étions loin de Fort-de-France, et si j’avais à faire à des gens du village, pour quoi seraient-ils venus sur cette plage minuscule au lieu de se réunir sur la grande plage. 
     J’aurais voulu réveiller Philippe afin qu’il puisse observer avec moi ce qui se passait, mais il était a plusieurs mètres de moi et je n’osais pas bouger, je n’avais pas encore “ peur d’être vue ‘’ mais je commençais tout de même a penser qu’il valait mieux rester discret tant que je ne savais pas a quoi m’en tenir au sujet de mes cinglés de la nuit.
     Qu’est-ce qu’ils pouvaient bien fiche ici.       
     Ensemble, ils se dirigèrent vers un gros rocher plus ou moins plat, à plusieurs mètres de la mer, “ Robe blanche “ monta sur le rocher et les bras en croix se tourna face à la lune. Le reste du groupe s’assit en tailleur tout autour de lui, ils restèrent assemblés devant ce stupide rocher pour un temps qui me parut interminable, un vague murmure semblait venir du groupe, mais je ne pourrais pas dire si ce murmure était réel ou s’il s’agissait de mon imagination.
     Puis, trois d’entre eux se levèrent, marchèrent en direction des deux gommiers et revinrent chargés d’énormes brassées de bois qu’ils empilèrent soigneusement à proximité du rocher. L’un d’entre eux jeta sur la pile de bois un liquide que j’imagine était de l’essence, il craqua une allumette et en quelques minutes un énorme feu brûlait sur la plage. Cette fois je n’avais plus le moindre doute, j’avais affaire a une bande de timbrés, le feu devait être visible a plus de dix milles en mer, peut-être même jusqu'à Fort-de-France.
     “ Robe blanche “ était toujours sur son rocher, les bras en Croix et face a la lune, se balançant lentement de droite à gauche, sur sa poitrine un genre de médaillon brillait..
     Je n’avais plus de doute, un étrange murmure venait du groupe, tout d’abord à peine audible, lentement ce murmure s’était amplifié, et était maintenant très net, bien que toujours incompréhensible. Ma douzaine de pingouins semblaient s’être animés et se balançaient lentement en cadence avec “ Robe blanche” dans un mouvement  régulier de pendulum.
     Lentement le groupe semblait être entré en une sorte de transe commune, le murmure devenait de plus en plus fort, le balancement augmentait. Ils se balançaient avec un ensemble parfait, ils n’étaient plus une douzaine de personnes ayant chacune une existence,  mais une seule masse en mouvement. Mon imagination galopait a fond, et j’essayais de comprendre ce qui se passait, j’avais depuis plusieurs minutes atteint à tort ou à raison la conclusion que j'avais affaire a un groupe de Waudoo ou autre secte similaire, et je dois avouer que je me demandais ce qui allait se passer. J’étais à la fois terrifié et curieux au point de ne pas vouloir voir la nuit se terminer. Le feu brûlait, ses longues flammes se mélangeant à la lumière de la pleine lune jetaient des lueurs et des ombres étranges. Là-bas, “Robe blanche “ était toujours face a la lune et pourtant il me semblait que son regard cherchait la nuit et allait bientôt m’apercevoir derrière mon gros tronc, sur sa poitrine le médaillon brillait étrangement semblant sans cesse attirer mon regard et semblant m’hypnotiser. Couché dans le sable, curieux, inquiet, effrayé, je regardais et j’attendais.
     Combien de temps cela dura, je ne saurais le dire, j’avais perdu la notion du temps, perdu la notion du réel, perdu la notion de la nuit. Le sourd murmure résonnait dans ma tête de plus en plus fort, je me sentais comme attiré par le groupe et poussé par un besoin de me joindre a eux, le balancement semblait ne jamais vouloir s’arrêtait, la pleine lune semblait perdre un peu de son éclat et le grand feu lentement devenait des braises rougeoyantes. Un des membres du groupe se leva, à la main il tenait ce qui semblait être une pelle, il s’approcha du feu et avec beaucoup de précautions il entreprit d’étaler les braises sur le sable en une petite plateforme de deux ou trois mètres carrés. Et soudain, le murmure s'accentua encore, devint plus haut, le tempo s’accéléra, quelqu’un, quelque part avait trouvé un tronc creux ou un Tam Tam qu’il battait rapidement et le battement régulier envahit la petite plage. L’un après l’autre la douzaine de participants a cette bizarre soirée se levèrent, ondulant en masse, et comme si la chose était la plus naturelle du monde commencèrent a danser pieds nus sur les braises. Régulièrement, calmement, lentement... et toujours ce murmure lancinant qui sciait les nerfs. Je regardais les yeux écarquillés, refusant d’accepter ce que mes yeux me disaient était en train de se passer. Puis le groupe se dirigea vers le rocher et dans un mouvement fluide ils saisirent “ Robe blanche “, dont le corps semblait raide comme une planche et ils le posèrent sur le sol. Ils enlevèrent la longue robe qui le recouvrée des pieds a la tête, sous la robe il était complètement nu, la robe fut jetée négligemment sur le sol et les disciples le soulevèrent gentiment et le couchèrent sur les braises ou il resta étendu sans mouvement pendant de longues minutes. Puis comme si la chose était la plus normale du monde, il se releva, marcha quelque pas et pointa le bras vers la lune, semblant venir de nulle part, un gros nuage cacha la lumière et en l’espace d'un instant la nuit devint presque noire.
     Dans mon coin de plage, derrière ce vieux tronc de palmier, j’étais sans voix, à demi abruti par le chant monotone, par la nuit, par le balancement incessant, par le mouvement hypnotique de ce stupide médaillon, par la fatigue où peut être par le rhum. J’essayais de m’enfoncer dans le sol, refusant de voir ce que mes yeux me disaient de regarder ….Que se passa t’il ensuite, je l’ignore, je fermais les yeux ….et lorsque je les ouvris de nouveau, il faisait jour et le soleil brillait haut dans le ciel.
     Il me fallu plusieurs secondes pour me rappeler ou j’étais, qui j’étais et ce qui s’était  passé durant la nuit, la matinée était fraîche et j’étais couché dans le sable, en chemise, sans la moindre couverture et je grelottais. Le soleil se levait derrière la colline et très rapidement viendrait réchauffer la plage, mais pour le moment il faisait encore très frais. Philippe dormait toujours à quelques mètres de moi, roulé dans sa couverture. J’avais la bouche pâteuse, mal a la tête, j’étais endolori par une nuit de sommeil dans une position inconfortable, en d’autres mots j’avais une gueule de bois carabinée. Je m’assis péniblement, me passais la main dans les cheveux, me frottais les yeux et regardais vers la mer afin de trouver un point d’orientation connu. Je me glissais prés de Philippe et silencieusement, je récupérais ma couverture que je jetais sur mes épaules, puis je m’éloignais vers un palmier qui reçu mon offrande matinale. Ce premier problème résolu, je m’assis sur le tronc, rapidement le souvenir de la nuit me revenait et je revis en l’espace de quelques secondes tout ce qui s’était passé.
     Je me levais lentement, et après une petite hésitation je me dirigeais vers le rocher sur la plage, m’attendant a trouver là le reste du brasier, des cendres encore chaudes. J’eu la surprise de ma vie, il n’y avait absolument rien sur le sable, pas de traces, pas de morceaux de bois, pas de cendres, pas de braises. Sur le rocher aucune trace du passage de “ Robe blanche “ près de la mer aucune trace à l’endroit où je suis sur j’avais vu les deux gommiers … rien ... rien ... rien, c’était impossible, je cherchais avec plus d’attention, ma gueule de bois oubliée, mais malgré mes efforts je ne découvris absolument rien.
     Avais-je rêve les événements de la nuit ou bien les participants avaient-ils réussi a tout nettoyer avant de partir, cela me paressait impossible. Même en supposant qu’ils aient pu  nettoyer tout cet espace en si peu de temps. Même en supposant qu’ils aient récupéré chaque petit bout de charbon, chose qui me semblait à peine possible, cet énorme brasier aurait dut laisser sur la plage un emplacement de sable brûlant ou pour le moins chaud.
     Je retournais vers le camp et Philippe, je ramassais une noix de coco verte, grosse et charnue et avec mon canif je creusais un trou près de la queue et but goulûment le liquide frais, ce qui me fit beaucoup de bien et me débarrassa définitivement de ma gueule de bois. Je réveillais Philippe, qui à demi endormi écouta mon histoire en partageant la noix de coco. Ensemble nous retournèrent vers le rocher, et bien sûr, nous ne découvrir rien de plus, Philippe suggéra que l’abus de rhum peut être très mauvais pour la santé et peut donner des hallucinations graves. Il se fichait franchement de moi, me répétant qu'il était plus que temps que je me mette a la limonade, puis voyant que je n’appréciais pas du tout la plaisanterie, il m’entraîna vers le village et m’offrit le petit déjeuner dans un restaurant minuscule.
     La journée s’écoula presque normalement, baignade, bronzette, plongée et recherche de filles en bikini, mais quelque part dans ma tête le souvenir de la nuit me taraudait. J’avais beau faire, je n’arrivais pas a croire que j’avais rêvé ou halluciné. Dans l’après-midi, je profitais de ce que Philippe s’était éloigné pour une longue partie de chasse sous-marine et je retournais vers cette minuscule plage et je cherchais une fois de plus autour du rocher, je refusais de m’en aller sans un dernier regard. Je ne suis pas sûr que cela fût une bonne idée, il est probable que si je n’étais pas retourné cet après-midi-là, j’aurais éventuellement atteint la conclusion que j’avais rêvé, que j’avais trop bu et il est probable que j’aurais oublié l’affaire complètement.
     Mais, il se trouve que lors de ce dernier regard près du rocher, mes yeux furent attirés par un point brillant, je me penchais et là, au milieu de l’endroit où j’étais sûr d’avoir vu le feu, je découvris une étrange petite figurine de bronze aux allures franchement africaines. Etais ’ce le médaillon de “Robe blanche “ ou bien ?  
     Je fourrais la figurine dans ma poche et je retournais a l’endroit où j’avais laissé Philippe, un peu plus tard il sortit de l’eau, se sécha, s’habilla et l’après-midi touchant a sa fin nous priment la navette du soir et juste avant le coucher du soleil nous étions de retour a Fort-de-France.
     Le lendemain, la vie reprit son cours, Philippe avait trouvé un poste de matelot sur un voilier et accompagnait le propriétaire pour un tour de l’île, me laissant totalement libre de continuer mes vacances dans sa maisonnette. Je feuilletais avec beaucoup d’attention le journal, espérant trouver un article racontant l’admission a l’hôpital de gens aux pieds ou au dos gravement brûlés, mais je ne trouvais absolument rien pour étayer ma conviction que je n’avais pas rêvé. Le lendemain, je me glissais à la librairie locale et fit des recherches sur le Waudoo et autres sectes similaires.   
     Je feuilletais beaucoup de livres sans trop de succès, je découvris un article sur le “ Waudoo Rouge, ou Rite du feu, “  le Waudoo rouge est un élément purificateur, très souvent symbolisé par des chandelles magiques rouges. Peut-être que mes cinglés de la nuit étaient des perfectionnistes qui cherchaient la purification à grande échelle et refusaient de se contenter de chandelles rouges et les avaient remplacés par un feu et des braises.
     Un autre article décrivait l’invocation des esprits qui pénètrent dans le corps des fidèles tandis que ces derniers dansent au son de tambours. Le fidèle, temporairement possédé par les esprits est capable d’accomplir des exploits surnaturels, tels que marcher sur des braises sans être brûlé. Puis, les esprits l’ayant quitté, il retombe sur le sol et redevient comme tout le monde.
     Je trouvais un autre article expliquant que le feu est le symbole de l’absolue énergie et de la motivation interne et que tout participant se jetant dans le rite jusqu’à la limite de sa réserve physique obtiendra ainsi une réserve inépuisable d’énergie, etc. etc.  
     À vrai dire je ne trouvais rien de bien concluant et en réalité je n’étais pas vraiment intéressé a savoir pour quoi ou comment une douzaine de cinglés marchaient sur des braises une nuit de pleine lune. Non ce qui m’intéressait était de savoir si la chose s’était réellement passée ou si je l’avais rêvée, ce qui m’intéressait c’était de savoir par quelle coïncidence incroyable ce nuage avait caché la lune au moment précis ou “ Robe blanche” avait levé le bras. Etait-ce un mouvement calculait avec précision ou bien une chance incroyable, ce qui m’intéressait, c’était de savoir comment il était possible de nettoyer cette plage aussi vite, en faisant même disparaître un emplacement qui aurait dû être chaud. Là, encore quelque un avait-il des connaissances particulières ou bien autres choses.
     Ces questions continuèrent de me hanter pour plusieurs jours, “ rêve ou réalité “ “ réalité ou rêve “et malgré tous mes efforts je ne parvins pas à me convaincre d’une manière ou d’une autre.
     La chose me tarabustait vraiment, j’avais envie de savoir, je décidais donc de me confier à un autre de mes anciens copains, un nommé Charlie. Charlie était Martiniquais de naissance, il avait grandi et passé toute sa vie dans l’île. C’était un garçon très intéressant et un peu différent, il était supposé être pêcheur professionnel, mais semblait passer plus de temps a terre que sur son bateau. Il trainait sans arrêt un peu partout et semblait connaitre tout le monde et avoir ses entrées dans tous les milieux. J’étais sûr qu’il pourrait me donner quelques infos intéressantes, et donc un soir je l’invitais chez Philippe pour le Ti Punch et je lui racontais ma nuit et mon histoire. Je m’ouvris a lui franchement, je lui montrais la petite figurine de bronze, lui expliquant mes doutes et mon besoin de savoir si j’avais rêvé ou réellement vécu cette nuit-là.
     Tout d’abord il fit semblant de ne rien comprendre, de ne rien savoir, il jouait au pauvre quidam totalement ignorant des choses du Waudoo, jusqu’au moment où je m’énervais       
     “ Oh, arrête de déconner, tu es Antillais, tu es Martiniquais, tu es né à Fort-de-France, tu connais la manière de vivre et de penser. Tu grenouilles un peu partout dans une multitude de soi-disant associations, tu as sans arrêt des visiteurs qui viennent te voir, des Doudous qui "oublient" dans ta cuisine des repas préparés ou des mecs qui laisse sur la table de ton salon des bouteilles de rhum ou une multitude de petits cadeaux. Il est évident qu’ils te payent pour un petit service, pour un petit tour de passe-passe, pour une petite bénédiction ou autre petit truc plus ou moins magique. Alors arrête de jouer au con, tu es Waudoo, grand prêtre ou petit prêtre, je n’en sais rien, mais tu es Waudoo, je le sais, je m’en fou, mais dis-moi juste ce que je veux savoir “
     Charlie me regardait avec un petit sourire goguenard au coin des lèvres
     “ Okay, qu’est-ce que tu veux savoir “
     “ Pour moi, il n’y a aucun doute, cette nuit telle que je viens de te la décrire s’est vraiment passée, le feu, les braises, la danse sur les braises, robe blanche et tout ce merdier. Je ne l’ai pas rêvé, n’essaye pas de le dénier, tu sais que ce genre de trucs existent, mais simplement dis-moi, explique-moi une fois pour toutes. Comment font-ils pour marcher sur les braises, pour nettoyer la plage aussi vite, pour refroidir le sable, pour faire disparaître la lune au bon moment, bref c’est quoi leur truc, j’ai besoin de savoir “
     “ Okay ”
     Son sourire était de plus en plus goguenard, je dirais même qu’il se fichait franchement de ma gueule. Il posa son verre de rhum sur le coin de la table, décrocha sa veste et tout en l’enfilant se dirigea vers la porte. Au moment de sortir, il murmura simplement en exagérant fortement son accent Antillais
     “ Tout ces t’ucs , tu vois c’est t’ès simple … c’est le secc’et du Waudoo “

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