samedi 21 juin 2025

16 Les chemins de katmandu

                          Les chemins de Katmandu

     C'était le début des années soixante-dix, c'était les années hippies. Les Beattles étaient au sommet de leur gloire et tous les magazines de musiques nous les montrés en compagnie d'un gourou indien, prêchant je ne sais plus quoi. C'était les années "chemin de Katmandu", le haschisch et la marijuana se popularisaient rapidement, le Népal, les Indes, étaient a la mode et un nombre important de jeunes venus des USA, d'Angleterre et d'un peu partout en Europe prenaient “ la route “ et partaient en voyage a vers les Indes mythiques, le Népal et le haschisch en vente libre.
     À l’époque, je travaillais quelques parts au Pilbara, lorsque je reçus une lettre d'un copain anglais, Peter, qui m’annonçait qu’il avait décidé, en compagnie d’une paire d’amis de quitter l’Angleterre et de rejoindre l’Australie par voie terrestre, suivant " la route" traditionnelle des Hippies à travers le Moyen-Orient, l’Afghanistan, le Pakistan, les Indes et ensuite Singapour et l’Indonésie.
     Je lui envoyé une lettre brève ... “ attends-moi, j’arrive, je ferais route avec vous “
     Ceci dit, j’avais quitté mon emploi, pris le premier avion pour l’Angleterre où j’avais retrouvé Peter et ses deux copains, puis j’étais rentré en France ou j’avais passé quelques semaines en famille. Un mois plus tard, à bord d’un vieux fourgon Bedford, Peter et ses amis étaient passés me prendre et presque immédiatement nous étions partis vers l’est, vers Marseille, l’Italie, la Yougoslavie, etc. sur les traces d’Alexandre le Grand.
     Il y aurait bien sûr beaucoup à écrire sur ce voyage, mais je dois dire que si ce voyage fut un moment de ma vie très intéressant à vivre, je doute que quelqu’un soit vraiment intéressé par les multiples petites mésaventures de quatre jeunes à travers l’Europe et l’Asie. Je ne m’étendrais donc pas sur la soirée de boissons dans ce petit port de pêche de Yougoslavie, ni sur les soupes de Peter, ni sur les frites glacées de la Macédoine ou sur les visites des ruines grecques d’Athènes.
     J’aimerais peut être parlé du souk d’Istanbul, mais je ne sais comment essayer de décrire ce fantastique marché, cette foule compacte, ce millier de mini magasins ou se côtoient toutes les civilisations du monde et ou se parle toutes les langues de la planète. Ou il est possible d’acheter un fusil, un drapeau américain ou des chaussures d’Italie dans le même magasin, et ou, sous l’attitude la plus amicale des vendeurs, se cache le besoin impératif de vendre.
     C’est là, dans ce souk, que je reçus une des multiples leçons que la vie vous envoie de temps en temps. Ce jour-là, Peter et moi étions tout simplement en petite balade d’exploration, regardant le million d’objets offert a la vente dans le souk, lorsque nous furent abordé par un gentleman très bien habillé qui nous proposa de changer de l’argent “ au noir “ . Son anglais était correcte, il nous expliqua qu’il était difficile pour un Turc de sortir de l’argent du pays et qu’il aurait aimé des dollars pour expédier a quelques membres de sa famille a l’extérieur du pays, il offrait un taux bien supérieur au taux officiel. La chose me paraissait un peu louche, le marché noir du dollar existe dans beaucoup de pays, mais justement a notre connaissance il n'existait pas en Turquie. Bien que très bien habillé, l’homme avait une allure sournoise, mais j’acceptais de changer deux billets de vingt dollars au taux qu’il m’offrait. Je regardais Peter, qui comme moi se doutait d’une arnaque et d’un regard nous nous étions mis d’accord, nous étions sur nos gardes. Le "changeur " nous entraîna dans une petite rue, car dit-il, “ la police a toujours l'œil ouvert pour ce genre de truc interdit par la loi “. Il trouva un recoin entre deux maisons, loin de la vue de la foule et me réclama de voir mes deux billets de vingt dollars. Peter et moi étions persuadés que la minute où il aurait mes deux billets en main il essaierait de s’enfuir, mais il était plutôt gros et rondouillard, sur de notre force, de notre jeunesse et de notre supériorité physique nous l’avions bloqué dans le recoin entre les deux maisons. Effectivement, la seconde ou mes deux billets touchèrent ses doigts, il esquissa un mouvement de fuite, il n’avait aucune chance, Peter et moi étions sur nos gardes et il se rendit très vite compte qu’il ne pouvait absolument pas nous fausser compagnie. Il nous regarda, l’air d’admettre que nous étions trop fort pour lui et qu’il était battu, puis prétextant avoir vu un flic, il me rendit mes deux billets de vingt dollars et disparut dans la foule. Je rangeais mes deux billets dans mon porte-monnaie, je remerciais Peter d’avoir était là ou il fallait au bon moment, nous nous félicitèrent l’un l’autre de notre présence d’esprit et d’avoir était capable de prendre le voleur a son propre piège et bien vite nous oublièrent la chose ... et ce n’est que quinze jours plus tard, au moment de changer de l’argent dans une banque en Iran, que je compris l’astuce de mon escroc ... les billets américains ont tous la même forme, la même taille et la même couleur et au moment de s’enfuir après avoir prétendu voir un flic, mon turc ne m’avait pas rendu deux billets de vingt dollars comme je le croyais, mais deux billets d’un dollar et bien qu’ayant regardé rapidement ces billets en les rangeant je n‘avais rien remarqué . Je restais abasourdi, ni Peter ni moi n’avions remarqué le mouvement rapide de ses doigts qui avait changé les billets, j’étais a la fois furieux et admiratif, il m’avait eu, j’avais perdu trente-huit dollars dans l’affaire, mais je me juré bien que c’était une leçon que je n’oublierais jamais. 
     Après environ une semaine a Istanbul, nous étions de nouveau en route, vers l’intérieur de la Turquie, vers Ankara la capital et ensuite vers l’Iran, nous traversions des régions agricoles en retard de mille ans ou le bœuf et l’âne était encore à l’honneur.
     Dans un petit village un vieil homme nous raconta la légende du manteau de Mohammed. Il semblerait que le prophète avait une affection toute particulière pour les chats, et un jour qu’il devait partir, il trouva sur son manteau deux chats dormant paisiblement et plutôt que de déranger les deux animaux il préféra couper le coin du manteau sur lequel les deux chats dormaient. 
     À Ankara, nous eurent la chance d’arriver le jour de la fête nationale, ce qui nous valut le privilège d’assister a un défilé militaire impressionnant. La plupart des troupes défilant ce jour-là étaient vêtues d’uniformes aux couleurs chatoyantes, allant du rouge au jaune en passant par l’orange, j’ignore si ces uniformes étaient seulement pour la parade ou aussi pour le combat, mais il faut bien admettre qu’il était difficile de ne pas les voir.
     Après la Turquie ce fut l’Iran que nous traversèrent sous une pluie battante, l’année d’avant avait vu l'anniversaire de la dynastie du Shah régnant sur la Perse depuis deux mille cinq cents ans et dans chaque village nous trouvions encore les multiples banderoles, arcs de triomphe et autres qui avaient été érigés pour l’occasion. Et puis ce fut l'Afghanistan ou nous avions prévu de nous arrêter pour un certain temps.
     Pourquoi cet arrêt en Afghanistan, tout d'abord il y avait le problème du véhicule qu'il nous fallait vendre ici, car il était presque impossible il y a quarante ans de faire entrer un véhicule au Pakistan et il était donc beaucoup plus simple de le vendre en Afghanistan et de continuer le voyage par les transports publics. Nous aurions tous préféré continuer avec notre vieux fourgon qui nous servait de logement toute les fois que nous étions un peu coincés, mais la chose était impossible. En plus du problème du véhicule, je crois que nous avions tous une curiosité au sujet de l'Afghanistan, nous avions tous les quatres entendus des dizaines d’histoires et de légendes sur ce pays et le peuple guerrier qui l’habite et nous avions tous un désir de prendre le temps de l’étudier.
     L'Afghanistan est un pays définitivement un peu particulier, comme la plupart des pays du Moyen-Orient, à la fois modernes et en plein moyen âge. Là se côtoyaient sans arrêt le dernier modèle de Mercedes et les bourricots. Tout autour du pays fut contruite une magnifique route de bitume et de béton qui ne voyait que peu de véhicules, mais un grand nombre de caravanes de chameaux allant de leur pas lent comme il y a mille ans.
     L'Afghanistan, qui était encore il y a quarante ans, le dernier repaire des meilleurs mécanos du monde qui réussissaient dans des ateliers de fortune a remettre à neuf des voitures et camions venus du début de l'ère automotrice. Avec des planches et des madriers, ils reconstruisaient châssis et carrosseries et remettaient sur la route des véhicules aux couleurs vives n'ayant plus que très petites ressemblances avec le modèle d'origine.
     L'Afghanistan, un pays de contraste ou le peuple était à la fois extrêmement accueillant et en même temps un peuple de guerriers farouches, vivant encore avec des valeurs guerrières vieilles de 2000 ans. L’Afghanistan, ou les armes neuves ou vieilles étaient en ventes partout, où il y avait bien sûr un gouvernement central, que l'on respectait plus ou moins, mais qui venait tout de même loin derrière la fidélité à la tribu où régnait de manière incontestée le patriarche. L’Afghanistan, ou l'on trouvait encore il y a quelques quarante ans des guerriers nomades couverts de cartouchières dans le plus pur style guérilleros, ou l'on racontait encore aux enfants que l'indépendance du pays est un devoir sacré et où l'on rappelait aux futurs guerriers que l'Empire britannique ne brisa jamais la résistance afghane réfugiée dans les contreforts de l'Himalaya. L’Afghanistan ou la haine de l'anglais était encore une tradition des plus respectée. Ainsi, la famille qui devait acheter notre véhicule ne traita qu'avec moi, un des enfants parlant un français correct, mais refusant totalement de prononcer une parole en anglais. Et là, dans cette famille, je découvris tous les contrastes de l'Afghanistan, une des familles les plus riches du pays, le frère aîné, guerrier farouche armé jusqu'aux dents, régnait en maître sur un immense domaine perdu dans la montagne, le deuxième fils était un docteur travaillant pour le gouvernement royal et le troisième fils étudiait, se préparant a une carrière politique.
     L'Afghanistan, un pays d'extrémisme religieux tournant au fanatisme, où l’adultère était encore, dans les années soixante-dix, punie par la lapidation, j’ignore si cette tradition dure encore aujourd‘hui, et même si elle est officiellement abolie je ne serais pas surpris d’apprendre que dans les villages reculés elle existe encore.
     L’Afghanistan, ou même le climat est farouche et imprévisible, l’été aujourd’hui chaud et sec, sera suivi demain par des pluies diluviennes, rendant impassables les rivières que l’on passe à gué. L’Afghanistan aux hivers impitoyables, ou les vents des montagnes balaient les déserts ou rien ne les arrête.
     L’Afghanistan, ou la passion du cheval est encore une manière de vivre et où l’on pratique encore “ le Buskaschi”, ce sport de dingues qui opposera les meilleurs cavaliers du monde qui vont se disputer une carcasse de bouc, qu’ils devront attraper au sol, sans descendre de cheval bien sûr, et ensuite emmener cette carcasse dans les buts en traversant bien sur tous leurs adversaires qui feront tout en leur pouvoir pour arrêter le joueur qui a la carcasse, tous les coups sont permis, pousser, tirer, cogner, fouetter, etc. etc.
     L’Afghanistan, ou entre Hérat et Kandahar, en plein désert, nous furent arrêté par un Bédouin qui avait probablement marché plusieurs kilomètres pour arriver a la route et qui voulait seulement quelques allumettes. Un pays où il y avait tant à voir, à apprendre et a découvrir, un pays où chaque jour nous montrait une facette inconnue, mais qu’il nous fallut quitter en urgence.
     Les bruits couraient que le Pakistan et les Indes allaient entrer en Guerre et que la frontière entre ces deux pays allait être fermée très bientôt. Notre véhicule était vendu, plus rien, à part la curiosité ne nous retenait en Afghanistan, nous n’avions plus de temps, nous partirent par bus en direction du Pakistan, à travers les paysages fantastiques de l’Himalaya et la fameuse “ Khyber Pass“ puis la frontière du Pakistan fut franchi sans problème. Nous n’avions plus le temps de découvrir, nous traversèrent le Pakistan non-stop en deux ou trois jours de train. À cinq heures du soir d’une belle journée d’automne nous passèrent la frontière des Indes, il y avait des soldats partout. À minuit cette nuit-là, la frontière était fermée, la guerre éclata quelques jours plus tard, nous étions passés juste à temps.
     Nous étions aux Indes, voyageant vers le sud, nous éloignant le plus rapidement possible de cette frontière qui risquait d'exploser d'un moment à l'autre, l'idée étant d'aller se perdre assez loin dans la foule de Bombay. Et cette guerre, depuis longtemps oubliée, qui finalement ne dura pas très longtemps, qui ne fit pas trop de victimes, mais qui rendit tout de même la région plutôt dangereuse pour quelques mois, est la raison pourquoi, bien qu'étant en route vers Katmandu, au Népal, je n'y suis jamais allé.

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