dimanche 21 décembre 2025

10 C'etait le temps avant le temps

                   C'était le temps avant le temps

       Bien sûr, comme tout un chacun, lorsque je débarque dans un pays nouveau, j'ouvre grand les yeux et les oreilles, essayant d'emmagasiner le plus rapidement possible le maximum d'informations sur le pays qui va être mon domicile pour les prochains jours, semaines, mois ou années.
     Bien sûr, dix mille choses attirent le regard et retiennent l'attention et il est bien difficile de choisir ce qui est important. 
     J'ai depuis longtemps pris l'habitude d'écouter les petites histoires locales qui, sous leurs allures sans importance, cachent souvent une montagne d'informations. Je crois sincèrement que la connaissance de ces petites histoires et aussi des vieilles légendes, souvent à demi oubliées, aident à comprendre le peuple et les gens que l'on rencontre.

     Les anthropologistes nous disent que l'aborigène australien est le peuple le plus ancien de la planète, ils nous disent qu’avant l’arrivée du Capitaine Cook en mille sept cent soixante-dix, ce peuple vivait encore à l’âge de pierre, totalement isolé du reste du monde depuis des millénaires. Durant de nombreuses années après l’arrivée de l’homme blanc, beaucoup d’aborigènes continuèrent à vivre selon leurs traditions ancestrales et à protéger leurs légendes.

     Comme la plupart des légendes anciennes, lorsqu'elles sont bien racontées, les légendes aborigènes sont passionnantes. Toutefois il devient parfois difficiles de savoir si ces légendes viennent vraiment du début des temps ou, si elles sont plus récentes et ont subi l’influence de l'homme blanc. Ci-dessous quatre ou cinq légendes, entendues ou lues au fil des années et traduites pour qui voudra bien les lire.

                                               
Baiame
     
     Il y a longtemps, très longtemps, Baiame voyageait à travers la terre qu’il avait créée et il se sentait seul, car il n’y avait personne avec qui parler. Il se pencha, ramassa une poignée de terre rouge et modela la forme humaine. Il avait suffisamment de terre pour modeler deux hommes, mais il ne lui resta de la terre que pour modeler une seule femme.
     Baiame décida de rester avec eux pour un certain temps, il leur enseigna les secrets de la vie, les plantes qui étaient bonnes à manger, comment creuser pour trouver les racines et où trouver la meilleure nourriture.
“Avec toutes ces plantes et de l’eau à boire, vous pouvez vivre et vous ne connaîtrez jamais la faim, partagez la terre, vivez en harmonie avec mes autres enfants “ leur dit-il, puis il quitta la terre et retourna chez lui, dans le ciel.

      Pour un certain temps les trois personnes vécurent heureuses ensemble mais, au bout d’un certain temps vint une période de terrible sécheresse, les plantes séchaient sur pied, les racines devenaient difficiles à trouver, la nourriture disparaissait.

     “Nous devons trouver de la nourriture rapidement où nous allons mourir” dit la femme’’, mais il n’y avait rien. Il y a des animaux, nous devons les chasser et nous aurons de la viande à manger.“
     Les deux hommes la regardèrent avec consternation.
“ Baiame, notre père ne nous a pas donné la permission de tuer les animaux qu’il a créés, il nous a ordonné de vivre avec eux ” dirent-ils. 
“Mais, il n’a jamais dit non plus que nous ne pouvions pas les tuer” répondit-elle
"je suis sûre qu’il voudrait que nous trouvions un moyen de survivre.”

     Un des deux hommes se laissa convaincre, il se cacha, attendit un jeune kangourou et le tua avec une pierre.
“Et maintenant que fait-on ?” demanda-t-il a la femme.
     Elle creusa un petit trou, déposa des pierres au fond et brûla du bois à l’intérieur jusqu’à ce qu’elle obtienne un tas de braises et de pierres chaudes sur lesquelles elle rôtit le kangourou.
“ Et voilà” dit-elle “mangeons cette excellente nourriture que Baiame nous a fournie !”      Le chasseur s’accroupit auprès d’elle et ensemble ils mordirent dans la viande à demi cuite.
“ C’est bon dit l’homme “ les yeux brillants de plaisir.

“ Viens te joindre à nous et goûter à cette nouvelle nourriture !” dit-il à son compagnon.
     Mais l'autre homme s'éloigna.
“Ceci n’est pas ce que Baiame nous a enseigné, de terribles choses arriveront parce que vous avez fait ceci, je préfère mourir de faim plutôt que de manger un des enfants de Baiame”.


      Rien de ce qu’ils purent dire ou faire ne changea sa manière de penser, l’odeur de la viande rôtie le rendait malade et il s’enfuit en courant à travers la plaine. Les autres le suivirent à distance, il était épuisé par le manque de nourriture et bientôt, il s’écroula au pied d’un immense gommier les yeux grands ouverts et il ne bougea plus.

     Les deux autres le regardaient avec une surprise qui se changea en frayeur, lorsqu’un esprit sombre aux yeux brillants de colère descendit des branches de l’arbre. L’esprit ramassa le corps de leur ami et le déposa à l'intérieur d'un arbre creux, puis l'esprit sauta dans l'arbre avec leur ami. L'arbre émit des sons bizarres, le sol se mit à trembler, les racines furent arrachées du sol, il commença à monter vers les cieux, puis il disparut dans l’espace. La nuit tomba, tout devint noir, on ne voyait que quatre points brillants sortant du vieux tronc, c’étaient les yeux de l’homme et ceux de l'esprit. Les quatre points brillants sont toujours visibles, les yeux de l’homme et de l’esprit sont maintenant connus sous le nom de Yaraam-do ou la constellation de la croix du Sud


 L’histoire des sept sœurs et de leur amoureux

     À l’époque du temps des rêves, il y a longtemps très longtemps, la constellation d’étoiles que nous connaissons sous le nom des “sept sœurs “ n’était bien sûr pas sept étoiles, mais était sept très jolies vierges de glace vivant encore sur terre.      Leurs parents étaient une grande montagne sauvage dont le sommet était caché dans les nuages et un torrent glacé qui venait tout droit des neiges éternelles.
     Les sept sœurs se promenaient à travers la plaine, avec leurs longs cheveux flottants derrière elles comme des nuages devant la brise. Leurs joues brillaient sous le baiser du soleil et dans leurs yeux était cachée la douce lumière grise des aurores. Elles étaient si belles que tous les hommes en étaient amoureux, mais le cœur des vierges était aussi froid que le torrent qui leur avait donné naissance et durant leurs promenades, elles ne tournaient jamais un regard vers les hommes.

     Un jour, un homme nommé Wurrummah, leur tendit un piège et réussit à capturer deux des vierges et les força à vivre avec lui, pendant que les cinq autres sœurs s’enfuyaient et se réfugiaient dans le ciel.
     Lorsque Wurrunnah découvrit que les deux sœurs qu’il avait capturées étaient des vierges de glace et que leurs tresses étaient comme des glaçons qui tombaient des arbres en hiver, il fut très déçu. Il les emmena à son feu de camp et essaya de faire fondre les cristaux de glace froide qui recouvraient leurs membres mais, au fur et à mesure que la glace fondait, l’eau éteignait le feu et il réussit seulement à ternir le brillant de la glace.
     Les deux sœurs étaient très seules et très tristes en captivité et rêvaient de leur maison dans le ciel bleu et clair. Quand l’ombre de la nuit recouvrait la terre, elles pouvaient voir leurs sœurs qui les appelaient de là-haut. Un jour Wurrunnah leur dit de ramasser du bois mort dans la forêt. Après une marche rapide, elles s’approchèrent d’un grand sapin très, très haut qui s’élançait jusqu’au ciel. Les vierges décidèrent de profiter de l’occasion et commencèrent à grimper le long du tronc, vers le ciel, vers leur maison et vers leurs cinq sœurs.

      Mais elles n’ont jamais retrouvé le brillant d’avant leur captivité et ceci est la raison pour laquelle il y a cinq étoiles très brillantes et deux un peu plus ternes dans cette constella


                                Gajara

     C‘était le temps avant le temps, les enfants du peuple de la terre, vivant en ces temps reculés, se moquèrent, maltraitèrent et torturèrent le vieil hibou, connu sous le nom de Dumbi. Ils arrachèrent ses plumes, lui crachèrent dessus et le piquèrent méchamment avec des branches sèches.      Ils le jetaient en l’air en se moquant et en lui criant, “ allez va et vole” mais il ne savait pas voler et s’écrasait durement sur le sol. Ils firent ceci de nombreuses fois et chaque fois le pauvre Dumbi s’écrasait durement sur le sol. Finalement ils le jetèrent en l’air une dernière fois, mais cette fois Dumbi ne retomba pas, il continua à monter et monter et monter vers le ciel, à travers les nuages, toujours plus haut jusqu'à ce qu’il atteigne Ngadja, l’Être Suprême.
     “Que s’est-il passé, Dumbi ?” demanda, Ngadja “ que t’ont-ils fait ?”
     Le vieil hibou alors raconta son histoire “ les enfants se sont moqués de moi, ils m’ont rendu ridicule et m’ont martyrisé. “

     Ngadja, l’Être Suprême était très en colère pour son ami, il appela son conseil et ensemble ils eurent une réunion. Parmi les conseillers de Ngadja il y avait Maguriguri le lézard, Windirindgal l’anguille, la tortue d’eau douce et le Goanna noir.
     “Allez !“ dit Ngadja “ voyez où sont ces gens-là, regardez à travers les montagnes et les vallées, vérifiez s’ils sont toujours en train de camper au même endroit, et puis, revenez m’en informer”. Ceci fut les ordres qu’il donna à son conseil car il était vraiment en colère pour ce que ces enfants avaient fait à Dumbi.

     Le premier à partir fut Magurigui car il était le plus rapide, il courut à travers la montagne jusqu’à la place où vivait le peuple. À son retour il confirma que le peuple était toujours là. Ngadja, l’être suprême appela Gajara et lui dit :
“ Si tu veux vivre, prends ta femme Galgalbiri, tes enfants et leurs femmes et les enfants de tes enfants et construis un très grand radeau, à cause de cette histoire avec Dumbi je vais punir les gens du peuple et noyer tout le monde. J’enverrai de la pluie et un raz de marée. Sur ce radeau, charges de la nourriture qui se garde tels que des grains, des bananes, des fruits et des racines.”  
     Gajara fit ce qu’on lui dit et chargea toute la nourriture qu’il put, puis il réunit tous les oiseaux qu‘il voyait, tels que le perroquet, l’oiseau-mouche, la pie, le kookaburra et le moineau et les emmena vers le radeau, puis il chargea aussi une femelle kangourou. Gajara rassembla sa famille sur le radeau. Puis Ngadja envoya des nuages chargés de pluie qui s’arrêtèrent au-dessus du peuple, une immense vague vint du Nord-est et bloqua l’entrée de la vallée.      L’inondation commença à balayer toutes les créatures vivantes et à les pousser vers une seule et même place où ils furent entraînés dans un immense tourbillon. Les gens hurlaient cherchant à sortir. Ngadja fit tourbillonner l’eau encore plus vite et la terre s’ouvrit les noyant tous.
     Pendant ce temps-là, l'inondation emportait tous ceux qui étaient sur le radeau avec Gajara sur le courant, au loin, là où le monde s'arrête et les eaux tombent au bout de la terre, c'est-à-dire la place de la mort. Les eaux le firent tourner dans tous les sens de ci, de là pour longtemps, très longtemps, mais finalement, l'inondation ramena Gajara dans la bonne direction. Les eaux baissaient très lentement. Au loin Gajara aperçut le sommet d’une montagne et envoya un oiseau, le perroquet hors du bateau.
     "J'ai trouvé le sommet d'une colline " annonça le perroquet lorsqu’il revint et ils furent heureux. Puis les eaux continuèrent de descendre et ils découvrirent Numbuzare.

     Plus tard Gajara, le renvoya encore il s'envola vers la terre et rencontra Dumbi le vieil hibou.
" Oh ! Vous êtes déjà de retour ?" dit Dumbi et il les invita à rester, la terre commençait  de sécher et toutes les créatures descendirent du radeau.

     Ngadja, l’être suprême, mit l’arc-en-ciel dans le ciel pour ralentir le passage des  nuages de pluie. L’arc-en-ciel traverse le ciel et bloque les nuages derrière lui. Notre peuple connaît la signification de l’arc-en-ciel, lorsque nous le voyons nous savons qu’il n’y aura pas de pluie anormale.

                Comment le soleil fut créé

     Je vous parle d’un temps si lointain que nul ne s’en souvient, les vieilles légendes nous racontent qu’en ce temps-là, il n’y avait pas de soleil. C'était le temps avant que les hommes ne viennent sur terre, il n'y avait que des oiseaux et des bêtes qui étaient toutes beaucoup plus grosses que maintenant et qui vivaient dans la pénombre.
     Un bon esprit qui vivait dans le ciel pensa qu'il serait bon que la terre reçoive de la lumière et de la chaleur et il décida un jour d'allumer un grand feu tout là-haut dans le ciel. Chaque matin il allumait un feu gigantesque qui brûlait pour des heures et finalement s’éteignait à la fin de la journée et il continua de faire cela tous les jours.
     Toutes les nuits, avec ses amis, ils ramassaient du bois qu'ils empilaient très haut, lorsque la pile était prête, il envoyait l'étoile du matin prévenir tout le monde que bientôt le feu serait allumé.
     Les esprits trouvèrent toutefois que cet avertissement n'était pas suffisant, car ceux qui dormaient tard ne voyaient pas le feu s'allumer. Les esprits pensèrent donc qu'il était nécessaire que quelqu'un fasse du bruit le matin pour annoncer l'arrivée du soleil et réveiller tous les endormis. Mais pour très longtemps ils ne pouvaient pas trouver quelqu'un pour ce travail. Finalement, un jour, ils entendirent le rire du Kookaburra qui résonnait dans le soir.

     "Ceci est le bruit qu'il nous faut’, dirent-ils tous ensemble.

      Ils expliquèrent donc au Kookaburra qu’il ne pourrait plus chanter et rire à la lumière du soir mais que, chaque jour, lorsque l’étoile du matin s’éteignait, il devait rire le plus fort possible pour réveiller tous les endormis avant le lever du soleil. S’il n’acceptait pas ce travail, les esprits arrêteraient d’allumer le feu chaque jour et la terre serait de nouveau dans la pénombre. Mais le kookaburra accepta et sauva la lumière du monde. Il accepta de rire haut et fort chaque matin de chaque jour et il a tenu sa promesse depuis le début des temps, et c’est la raison pourquoi chaque matin nous entendons haut et fort :


“Goo-goor-gaga ... goo-goor-gaga “.

     Lorsque les esprits allument le feu au petit matin, il n’est pas très chaud mais, au milieu du jour, lorsque toute la pile de bois brûle, la chaleur est très forte. Après cela, tout doucement, le feu s’éteint et la chaleur baisse jusqu’au moment où le feu meurt à la nuit et les esprits ne gardent que quelques braises qu’ils recouvrent de nuages afin de les garder pour redémarrer le feu le lendemain.
     Les enfants n’ont pas le droit d’imiter le chant du kookaburra de peur qu’il ne se vexe et qu’il cesse de chanter chaque matin, car les esprits l’ont juré, si le kookaburra cesse de chanter et d’appeler le soleil chaque matin, ils n’allumeront pas le feu.

                                              Boomerang

    
     C’était le temps avant le début des légendes, avant le début de l’homme debout et avant l’arrivée du Kangourou et avant la création des arbres.
     En ce temps-là, le ciel n'était pas très haut comme maintenant, il était très bas, presque au ras du sol, si bas que l'homme ne pouvait pas se relever et marcher debout, le kangourou ne pouvait pas sauter et les arbres ne pouvaient pas pousser. Les hommes de ce temps-là devaient donc marcher courbés en avant et afin de se soulager un peu dans cette position inconfortable, ils marchaient tous avec l'aide d'un morceau de bois.
     Un beau matin, Kadahar, s'en fut au point d'eau pour se désaltérer, après avoir bu, oubliant que le ciel était si bas, il se redressa très rapidement et se cogna la tête durement dans le ciel. Sous l'effet de la douleur, Kadahar perdit son calme et se mit très en colère, il commença d'injurier les Dieux et le ciel, et sans même penser à ce qu'il faisait il essaya de soulever le ciel en le poussant avec son bâton et fut tout surpris de voir que le ciel se soulevait légèrement. Il poussa encore plus fort et le ciel se souleva un peu plus, il insista encore et, soudain, il s'aperçut qu'il pouvait se mettre debout.
     Il appela alors tous les gens du peuple et tous ensemble, suivant l'exemple de Kadahar se mirent à pousser le ciel vers le haut avec leurs bâtons. Très lentement, le ciel se soulevait, ils continuèrent très longtemps leurs efforts, puis ils montèrent sur une colline et continuèrent de pousser, Kadahar était infatigable et il poussait, il poussait et poussait encore.
     Finalement leurs efforts furent récompensés, le ciel était maintenant très haut, et tous pouvaient se tenir debout et marcher normalement. Kadahar était épuisé, mais content, il avait tant poussé vers le haut avec son bâton que celui-ci était tout courbé, réalisant que son bâton était courbé et que maintenant il pouvait marcher debout et donc n'aurait plus jamais besoin de ce bâton, Kadahar décida de le jeter au loin. Mais à cause de sa courbe, le bâton revint vers Kadahar, il le jeta encore et le bâton revint encore et encore et encore et c'est ainsi que le peuple découvrit le boomerang.     
     Des légendes aborigènes ou australiennes, bien sûr il y en a encore beaucoup d'autres, beaucoup que j'ai entendues ou que j’ai lues et que j'ai oublié aujourd’hui, et beaucoup d'autres qui se mélangent un peu dans ma mémoire... Alors peut-être vaut-il  mieux que je m’arrête... Et que Baiame vous accompagne encore durant de nombreuses lunes.

 

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