mardi 21 janvier 2025

21 Little Rock ... Nevada

                             Little Rock ..... Nevada 

     J'ai toujours aimé les villes fantômes américaines, je ne suis pas trop sur pourquoi, il y a quelque chose qui me fait vibrer lorsque je suis dans une de ces villes. Debout, au milieu d'une rue ou d'une maison abandonnée, ou parfois dans un vieux saloon déserté depuis plus d'un siècle, je repars vers le passé, j'essaye d'imaginer qui a été là, que pensait -il, quels étaient ses rêves, quelle était sa vie.
     Beaucoup de ces villes fantômes, sont devenues depuis longtemps des pièges a touristes et ont perdu ce petit quelque chose qui me les rendaient attrayantes et je les évites. Mais par contre lorsque mes pas me mettent près d'une réelle ville fantôme, complètement abandonnée et inconnue du monde, alors je suis toujours prêt à faire le détour, au risque parfois de difficultés ou d'un accident, car bien sûr nul n'entretient plus depuis longtemps les chemins qui mènent vers les réelles villes fantômes, et c'est ainsi qu’un jour je découvris " Little Rock ... au Nevada "
     Souvent, ces villes fantômes inconnues et abandonnées des hommes sont très petites, la vie, le vent, la pluie et les hivers ont depuis longtemps frappés et il ne reste parfois plus grand-chose à découvrir et seule mon imagination fertile me permet de revoir a quoi elles ont pu ressembler le siècle dernier. Mais quoi qu'il en soi, elles ont toujours sur moi une attraction qui m'attire comme l'aimant attire le métal.
     Je ne me souviens plus très bien ce qui nous avait amenés dans ce coin du Nevada, probablement un chantier parmi tant d'autres, mais probablement très court, car ma mémoire n'en garde aucune trace. Au bar du coin, j'avais entendu parler de Little Rock, que tout le monde semblait connaitre et qui si j'en croyais les gens de la région, valait vraiment le coup d'être vue, car dans la rue principale on pouvait retrouver le vieil Ouest tel qu'il avait était en 1850.
     Donc je m'arrangeais avec mes camarades et mon chef et j'obtins sans aucun problème l'autorisation de disparaitre pour la journée. J’utiliserais même un véhicule tout terrain de la boite, sous prétexte de devoir aller vers cette vieille ville afin de reconnaitre le terrain pour peut-être un prochain contrat.
     Je trichais un peu avec les règlements très stricts et je glissais dans ma glacière, avec mon pique nique une douzaine de boites de bière, hey …….  À quoi bon prendre un jour de repos si l'on ne peut l’agrémenter d'un peu de plaisir. Donc, ce matin la, après m'être assuré que toute l'équipe était partie sans aucun problème, j'invitais mon jeune assistant, Franky, a se joindre a moi pour une journée un peu différente. L'idée étant de se rendre tranquillement a Little Rock, de visiter rapidement, de faire un petit barbecue sur place, de consommer quelques bières et de rentrer tranquillos en même temps que le reste de l'équipe . Franky était bien sur partant, je lui laissé le volant et je me penchais sur la carte et lui donnait la direction à prendre. Après une petite heure de route nous nous arrêtèrent pour le traditionnel breakfast dans un minuscule restaurant sur le bord de la route, complètement perdu loin du monde. Il était tellement isolé que l'on pouvait se demander comment il survivait, les seuls autres clients étant une paire de cowboys qui s'étaient arrêtés là, en route vers quelques pâturages éloignés de leur ranch.
     Pendant que nous attendions nos oeufs au bacon, un très vieil indien se glissa dans le mini restaurant. Il était vêtu d'un jeans et d'une chemise comme tout le monde, mais avait sur les épaules une très vieille couverture, très épaisse et couverte de motifs que Franky m'informa était d'origine Navajo. Il se dirigea vers les deux cowboys qui apparemment le connaissaient bien et, avant qu'il n'est eut le temps de parler, ils le repoussèrent sans brutalité, le pointant dans notre direction et lui demandant de trouver ce matin un autre pigeon pour son breakfast. Quelques secondes plus tard il était à notre table et nous proposais de nous raconter une vieille légende Navajo, inconnue du monde, en échange de quelques toasts et d’un peu de café. J'étais d'une excellente humeur, j'étais payé a me balader et a visité un coin du monde qui m'intéressait beaucoup. La compagnie me fournissait la voiture et même le chauffeur et je trouvais donc tout naturel de partager ma bonne fortune avec ce vieil indien ayant besoin d'un breakfast. J'insistais et il accepta de prendre aussi des oeufs au bacon a la place de toasts et pendant que nous attendions la serveuse en sirotant notre café je lui posais mille et une question sur sa tribu d'origine. Je ne sais plus s'il était Navajo, Apache, Utes ou je ne sais quoi d'autre, il parlait de son peuple et de leurs coutumes avec une passion réelle, regrettant que les temps aient tant changés et qu'il ne puisse vivre dans un village comme avant. Il dévora son breakfast comme un homme qui ne sait pas d’où viendra son prochain repas et but un nombre innombrable de tasses de café. Les deux cowboys étaient partis depuis longtemps et la serveuse avait disparu dans l'arrière-boutique lorsqu'il me regarda un peu bizarrement et me demanda
     " Sais-tu pourquoi il y a des étoiles dans le ciel "
     Je lui avouais que non, alors, il s’installa un peu plus confortablement sur sa chaise, se préparant a raconter son histoire et tranquillement, comme si la chose était la plus naturelle du monde il se saisit du paquet de cigarettes de Franky, il en prit une qu'il glissa entre ses lèvres avant de ranger avec beaucoup de soin, dans sa poche le reste du paquet. Il accepta le feu que je lui offrais et après avoir tiré sa première goulée de fumée il se mit a raconté                         
     Il racontait, qu'il y a longtemps, bien longtemps, le ciel était très bas et très sombre, si sombre que le peuple en ce temps là se voyait à peine. Le ciel était comme une immense couverture noire recouvrant toute la terre et nul ne pouvait voir le soleil qui était au-dessus de cette couverture sombre.
     Un jour le peuple de ce temps décida de pousser le ciel vers le haut afin d'avoir plus de place et a l'aide de longues barres de bois, ils poussèrent tous ensemble. Après de longues heures d'effort ils réussirent a pousser le ciel jusqu'au niveau ou il est maintenant. Mais certains des gens avaient utilisé des barres de bois pointues et le ciel fut percé d'une multitude de petits trous qui laisse passer la lumière du soleil, et c'est la raison pourquoi la nuit on peu voir cette multitude de petits trous qui brillent au-dessus de nous et que l'on appelle les étoiles.
      Là-dessus il écrasa son mégot dans le cendrier, se leva, nous remercia beaucoup d'un excellent petit déjeuner, nous souhaita bonne chance et tournant les talons il disparut comme il était venu.
     " Et voilà, mon paquet de cigarettes parti " murmura, Franky sans rancune
     " Ah fait pas chier, tu sais maintenant pour quoi il y a des étoiles dans le ciel et ça ne t’as couté que le prix de quelques cigarettes, ça valait bien le coup non ''
     Puis j'appelais la serveuse, je payais pour notre repas, j’achetais un nouveau paquet de cigarettes et nous repartir, direction Little Rock. Pendant que Franky conduisait, j'étudiais un dépliant touristique local et j'appris que bien que très peu connue, Little Rock attirait encore quelques touristes passionnés par les villes fantômes. Nul ne se souvenait pourquoi Little Rock s'appelait ainsi, la ville avait était construite aux environs de 1850 et s'était développée rapidement comme beaucoup d'autre suite a la découverte d'argent dans la région. Au fil des années, la plupart des petites mines durent fermer leurs portes, car nom rentables et très vite il n'y eut plus en ville qu'une seule mine importante la "Silver Valley Ore Compagnie " qui employait la majorité des habitants. La mine fonctionna plus ou moins bien jusqu'à la Première Guerre mondiale et finalement ferma ses portes quelque part vers les années 1920.
     La mine étant la seule source d'emploi de la région, très rapidement tout le monde était parti vers d'autres cieux abandonnant derrière eux une ville qui lentement disparue. C'était à peu près tout ce que le dépliant pouvait me dire sur Little Rock, et je dois dire qu'il n'y avait rien de bien inhabituel, la même chose pouvant être dite de pratiquement toutes les villes fantômes.
     Franky conduisait assez vite, nous traversions une zone semi-désertique et rocailleuse, suivant une piste à peine visible, mais encore en relativement en bon état à part quelques passages difficiles lorsque nous traversions des petits cours d'eau desséchés. La piste serpentait entre quelques collines couvertes d'arbres rabougris et seul les traces des cours d'eau montraient un peu de verdure, et c'est ainsi que vers onze heures du matin nous atteignirent Little Rock. Franky entra dans la rue principale et s'arrêta dans ce que je pense pouvais être appelé, le centre-ville.
      La ville, n'était en somme qu'une douzaine de maisons en plus ou moins bon état, groupées autour de cette unique rue. On pouvait reconnaitre l'ancien saloon, une ou deux bâtisses qui avait dû être des magasins, quelques maisons d'habitation et un immense bâtiment qui je pense avait dû être les bureaux de l'ancienne mine. Il n'y avait pas grand-chose et Franky exprima en quelques mots son désenchantement
     " Ben mon vieux, on a conduit quatre heures pour voir ça, heureusement que je suis payé et que je ne suis pas dans mon temps personnel, parce qu’à vrai dire ça ne valait pas franchement le coup "
     " Ah, la ferme ou je ne te paye pas la journée, ce n’est pas ces quatre vieilles baraques qu'il faut regarder. Il faut regarder derrière la façade, il faut voir l'histoire, il faut imaginer les gens qui ont vécu ici et il faut faire un saut en arrière dans le passé, bref il faut faire un effort et utiliser la matière grise, tout quoi. T'es jamais qu'un petit branleur, tout ce que tu vois c'est quatre planches, tu n'as pas d'imagination, ceci dit, moi je ne suis pas venu la pour juste regarder l'extérieur, je vais fouinasser un peu, si ça ne t'intéresse pas, trouve un coin, fait du feu et fait nous cuire les steaks, et sur ces mots je m'éloignais et je me dirigeais vers l'ancien saloon ".
     En toute honnêteté, je dois dire que Franky avait un peu raison, il n'y avait franchement pas grand-chose à voir. Le vieux saloon n'était plus qu'une immense caisse vide, les anciens bureaux de la compagnie semblaient prêts à s'écrouler et les maisons particulières semblaient avoir depuis longtemps perdues leurs âmes et, même en me forçant, je n'arrivais pas a imaginer une multitude de clients dans les deux magasins. Bref le voyage était tout de même un peu décevant. Je tournais le dos à la petite ville et je me dirigeais vers le sud ou Franky avait allumé un feu et s'occupait à préparer notre déjeuner.
     J'eus la surprise de constater qu'il n'était pas seul, il avait était rejoint par un vieil homme, conduisant un très vieux pick up, chacun d’eux avait ouvert une boite de bière et se tenait accroupis autour du feu. Le vieil homme se présenta a moi comme étant un des derniers habitants de la ville, il n'était encore qu'un gamin quand ses parents avaient perdu leurs emplois a la "Silver Valey Ore Compagnie " et étaient partis chercher fortune ailleurs. Il avait vécu sa vie loin d'ici bien sûr et était maintenant à la retraite et vivait à quelque 100 kilomètres au sud, mais il avait gardé quelques bons souvenirs de la vieille ville et revenait ici de temps en temps pour retrouver les traces de son passé. Il avait l'air très sympathique, je l'invitais à se joindre a nous et a partagé nos steaks et notre bière, il accepta avec un plaisir évident, s'assit confortablement sur la glacière et attendit patiemment que le repas soit prés.
     Nous avions largement le temps, il n'y avait finalement pas grand-chose à voir dans cette ville fantôme, et même si nous passions une paire d'heures à déjeuner, Franky et moi serions de retour largement avant l'heure. Je m'installais donc moi aussi confortablement et laissais Franky s'occuper du déjeuné. Le vieil homme parlait de son enfance dans cette ville qui avait été très florissante, il parlait de la "Silver Valley Ore Compagnie" dont ses parents avaient gardé un excellent souvenir, il revoyait les chevaux devant le saloon et les charrettes garées devant le "Général Store '' et le vieux train qui venait une fois par jour. Il revoyait les belles sortants du magasin de la modiste et nous montra ce qui restait de la petite école ou il avait appris a lire .
     On sentait qu'il était heureux de parler de ce qui était encore et serait toujours pour lui "sa ville ", et moi j'étais heureux d'écouter ces petites histoires sans importance, mais pourtant réelles. Il se servi une autre bière et je vis ses yeux brillait lorsque je lui posé la question
     " Mais au fait, savez-vous pourquoi la ville s'appelle Litte Rock "
     " Si je sais fiston, oh tu peux dire que je sais, non seulement je sais, mais j'étais la quand ça s'est passé, et crois-moi fils, je m'en souviens comme si c'était hier "
     Et là-dessus il commença de nous raconter, je revois son plaisir à nous décrire ces journées de son enfance et franchement je crois que nul n'aurait pu l'empêcher de parler.
     " Bon, déjà ne me demande pas l'année, de ça, je ne me souviens pas exactement, mais c'était les premières années de ce siècle peut être 1910,1912 ou 13, quelque part par la, j'étais tout gosse a l'époque, peut être dix ou douze ans pas plus et pourtant crois-moi je me rappelle de tout.
     La plupart des petites mines avait déjà fermées depuis longtemps, le minerai n'était pas assez riche pour permettre une exploitation artisanale et demandait donc des moyens que seules les grosses compagnies pouvaient se permettre, c'est-à-dire que en gros il n'y avait plus que la " Silver Valley Ore Compagnie" qui fonctionnait dans la région. D'ailleurs en ce temps la, la ville n'avait pas vraiment de nom, et était connu sous le nom de "Silver Valley's mines"   
     Bien sûr, il y avait des problèmes de vol de minerais, il y avait toujours quelques  ouvriers qui essayaient de partir avec une pierre paraissant bien riche avec l'espoir de la revendre et de gagner quelques dollars. Souvent leur effort était déçu, mais ils continuaient quand même et la compagnie avait donc dût, comme cela se fait depuis toujours, embaucher une milice, a ses ordres, qui essayait de réduire ces petits vols.
     Cette milice était sous les ordres d'un nommé Jed Smith, plus connu sous le surnom de  "Black Jed ", beaucoup prétendaient que cela n’était pas son vrai nom, mais qu'importe, il n'y avait a l'époque aucun moyen de vérifier et donc son nom était accepté. C'était un homme dur et brutal, qui ne pardonnait rien et frappait avec une violence inouïe lorsqu'il attrapait un voleur de minerai, dans le but de le montrer en exemple à tous les autres employés. La direction savait bien sûr que ses méthodes étaient un peu extrêmes, mais avait décidé de fermer les yeux, car depuis qu'il était là les vols avaient pratiquement disparu.
     C'était le début de la civilisation de l'ouest et depuis plusieurs années déjà " les porteurs de colts " avaient disparus. Bien sûr on voyait encore dans les saloons, le soir, quelques cowboys venus de leur ranch et portant encore leur arme au coté, mais c'était plus pour protection contre l'éventuel couguar, serpent ou quelque bovins devenus a moitié dingue que contre d'éventuels voleurs de bétail ou quelque bandidos. Je crois que la plupart d'entre eux portaient cette arme plus par habitude que pour une raison de self défense et je me demande combien d'entre eux savaient vraiment s'en servir. Plus personne en ville ne portait d'arme à part le sheriff et bien sur Black Jed et ses hommes qui affirmaient de cette manière leur importance et leurs autorités sur le commun des mortels  
     Donc, par un beau jour d'été, Black Jed attrapa un voleur de minerai, je n'ai pas les détails, mais je doute que le vol est était vraiment important. Quoi qu'il en soit Black Jed devait justifier son salaire, son existence et son emploi et décida donc d'utiliser ce voleur et d'en faire un exemple. Tout le monde en ville le connaissait, c'était un homme assez âgé, sobre et travailleur, qui vivait sans histoire dans une petite cabine aux abords de la ville, on le disait veuf et sans enfant, mais nul ne se posait vraiment de question sur son compte. Jed Smith et ses hommes le trainèrent jusqu'au centre-ville et s'arrêtèrent devant le saloon qui était déjà plein a cette heure là. A grand bruit ils ameutèrent la population, expliquant en détail qu'un voleur de minerai avait été attrapé, que cela ne pouvait durer et que ici, lui Black Jed allait montrer a la ville ce qui arrivait aux voleurs. Et sur ces mots ils entreprirent a quatre ou cinq a l'utiliser comme un " Punching Ball ", le poussant , le cognant brutalement, lui donnant des coups de poing et des coups de pieds et le bousculant sauvagement de l'un a l'autre. Le pauvre homme ne pouvait absolument rien faire, il s'écroula a plusieurs reprises, mais les hommes de Black Jed le relevaient et continuaient de le brutaliser sauvagement. Il subit pendant plusieurs minutes ce traitement de misère et puis d'un coup il s'effondra complètement sur le sol et ne bougea plus. Jed Smith et ses hommes se calmèrent très vite, on fit venir le docteur qui ne put que constater que le vieil homme était mort. Bien sûr Black Jed n'avait pas eu l'intention de le tuer, mais le traitement avait été un peu trop brutal et le vieil homme n'avait pas survécu.
     Well, nous étions au début du siècle, tout le monde en ville était plus ou moins effrayé de Jed Smith et de ses hommes, "La Silver Valley Compagnie" employait 90 pour cent des hommes, le shérif était plutôt âgé, et finalement nul ne connaissait vraiment la victime. Alors, bien sûr, l'affaire fit beaucoup de bruit, on parla, on jura, on s'énerva, et puis peu à peu évidemment on oublia et cela aurait pu être la fin de l'histoire.
     Jusque jour ou apparut le "jeune homme sans nom ", et je l'appellerais le jeune homme sans nom, car il ne dit jamais a personne comment il se nommait. Il informa seulement, qui voulait l'entendre, qu'il était le fils du vieil homme qui avait été tué par Jed Smith et sa bande, et subitement tout le monde réalisa que finalement nul ne connaissait le nom du vieil homme et que rien n'avait était écrit sur sa pierre tombale.
     Le jeune homme sans nom pouvait avoir vingt ans, peut être vingt-cinq, il était grand et fort, s'habillait comme un cowboy et portait une arme au coté dans un étui très simple et sans fioriture. Il ressemblait a n'importe quel cowboy, il parlait peu, passait beaucoup de temps au saloon, mais ne buvait pas beaucoup. Il avait une manie qui retint tout de suite l'attention de tout le monde, il jouait en permanence avec un petit caillou qu'il jetait d'une main à l'autre, inlassablement comme si ce geste avait pour lui une signification très importante.
     Il s'installa a l'hôtel, il prenait ses repas au saloon et posait beaucoup de question sur la fin de son père, sur la Silver Valley Compagnie et sur Jed Smith. Tout le monde en ville ne parlait que de lui et de sa manière de jouer avec ce petit caillou qu'il jetait sans arrêt d'une main a l'autre et de la raison pour laquelle il était la.
     Jed Smith feignait d’ignorer la présence du jeune homme, mais tout le monde savait qu’il le faisait surveiller discrètement et qu’il était sur ses gardes. Après tout il était évident que le jeune homme sans nom devait être ici pour une raison bien précise. 
     Un âprès midi, le jeune homme monta vers le petit cimetière, ou il trouva la tombe de son père, il y resta pour de longues heures et sur la pierre tombale grava a la pointe de son couteau le nom de John Clark. Puis il redescendit en ville et demanda au Barman de bien vouloir faire passer le mot qu'il était ici pour venger son père et tuer Jed Smith. Il était prés, si Jed Smith était assez brave, a l'affronter en duel a un contre un dans la rue principale, le prochain jour en début d'aprés midi. Il ajouta que si Black Jed était trop lâche pour l'affronter en public, dans la grande rue, il le chasserait et l'abattrait comme un chien. Et tout en disant cela au barman, calmement, inlassablement il continuait de jeter son petit caillou d'une main à l'autre, puis il dina tranquillement et se retira dans sa chambre.
     Il est bien évident que Black Jed ne pouvait pas laisser passer ce genre de challenge, si il avait refusé de rencontrer le jeune homme en duel dans la rue sa réputation de dur aurait était complètement finie. Il était donc bien obligé d'accepter et il informa le barman qu'il serait dans la rue a deux heures précises le lendemain. Très vite, toute la ville fut au courant de ce rendez-vous sinistre et tout le monde se prépara pour être présent et voir soit la fin de Black Jed, soit la mort du jeune homme. Lorsqu’il descendit le lendemain matin pour son petit déjeuner le jeune homme fut informé de l'heure du rendez-vous, il ne broncha pas, il prit son Breakfast et toujours jouant avec son petit caillou il partit s'occuper de son cheval. Il s'assura que l'animal avait reçu sa portion d'avoine, puis il le conduisit a l'abreuvoir et enfin il le sella et amarra consciencieusement a la selle son petit bagage, ensuite il se rendit a l'hôtel ou il paya sa chambre et au saloon ou il paya ses repas, affichant par ces gestes une confidence extrême de l'homme qui sait qu'il va quitter la ville ce soir. Et toujours, dès que ses mains étaient inoccupées, réapparaissait le petit caillou qu'il jetait inlassablement d'une main à l'autre.
     Bien avant l'heure du rendez-vous, la moitié de la population de la ville était dans la rue principale, essayant de se placer dans un coin lui permettant de voir le maximum sans risque de récupérer une balle perdue. J'avais décidé comme plusieurs de mes camarades d'école que nous ne pouvions pas manquer ce spectacle et je pense que cet âprés midi la maîtresse se trouva bien seule.
     Le temps passait très lentement, mais finalement à deux heures précises, Black Jed sortit des bureaux de la Silver Valley Co et descendit dans la rue principale. Il était seul, il ne portait pas sa veste et était en chemise et sans chapeau, mais sur sa hanche son colt paraissait menaçant. À l'autre bout de la rue le jeune homme sortit d'un saloon, lui aussi sans veste, en chemise et sans chapeau et lui aussi avec son colt au coté et toujours avec entre ses doigts cet éternel petit caillou qu'il jetait d'une main a l'autre.
     Tous deux s'arrêtèrent un instant en arrivant dans la rue principale, ils étaient encore loin l'un de l'autre et ils s’observèrent un moment et soudain comme commandé par un même cerveau ils se mirent en marche l'un vers l'autre … lentement … Black Jed avait déjà pris la position du duelliste chevronné, son bras gauche pendait le long de son corps, sa main droite était a quelques centimètres de son arme prés à se saisir du colt et a tirer. Le jeune inconnu semblait lui complètement inconscient du danger, il s'avançait vers Jed Smith et il continuait inlassablement à jouer avec son petit caillou, le jetant d'une main à l'autre aussi calme que s'il avait été seul au monde.
     Nul ne regardait Black Jed, nul ne regardait le jeune homme, nul ne regardait les colts qui allaient bientôt parler, il semble que tout le monde, absolument tout le monde se mit a regarder ce petit caillou qui volait d'une main a l'autre. La chose était tellement inhabituel et inattendue que tout le monde était comme hypnotisé par le mouvement, et je pense que Black Jed lui-même fut victime de ce mouvement d'hypnose collective et que l'espace d'un instant il oublia ou il était et ce qu'il faisait. C'est l'instant qu'attendait le jeune homme, sa main gauche laissa échapper le petit caillou et se relaxa, sa main droite attrapa le colt a son coté, le geste n'était pas vraiment très rapide, mais l'attention de Black Jed était sur le petit caillou et lorsqu'il réalisa que le colt du jeune homme était braqué vers lui, il était trop tard ... et ainsi mourut Jed Smith, dans la rue principale d'une ville sans nom.
     Le jeune homme, récupéra son cheval prés de l'abreuvoir, et avant même que la ville ne soit revenue de sa surprise il s'éloignait vers le sud, laissant au milieu de la rue principale le corps de Black Jed
     Bien sûr durant les jours, les semaines, les mois qui suivirent tout le monde parla du jeune homme qui jouait avec son petit caillou … avec son Little Rock …. Et qui trompa ainsi la vigilance de Black Jed et avant que quiconque n'ait compris on ne parla plus que de la ville du " Little Rock " et puis au fil des ans, la ville devint tout simplement … Little Rock au Nevada 
     Il était prés de trois heures de l'après-midi, le vieil homme termina sa bière, regarda sa montre et jugea qu'il était plus que temps de repartir. Il en était de même pour Franky et moi, la route était longue jusqu'au camp et nous n'avions plus de temps à perdre. Alors rapidement nous ramassèrent les restes de notre pique-nique et chacun partit de son côté. Franky conduisait, après un long moment, il ne put s'empêcher de dire
     " Tu sais quoi, c'était une belle histoire, une très belle histoire, mais je crois que le vieux s’est foutu de nous, son histoire, il l'a inventé et Black Jed n'a jamais existé "
      " Tu sais quoi, Franky, je crois que tu as raison, mais comme tu viens de le dire
c’était une belle histoire, je dirais même une très belle histoire alors pourquoi essayer de la changer, tu vois, je crois que c’est comme ça que commence les légendes et celle-là, je crois que ça nous fera une très belle légende, alors moi je la garde  "

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